Cultures marines n°300 - 5

événement Actualité Le Québec produit 2 % des moules du Canada. Et depuis peu, des huîtres. 8 tonnes en 2014, 38 tonnes en 2015, une prévision de 100 tonnes en 2016, une croissance exponentielle ! Rencontre avec le seul ostréiculteur de la province : Christian Vigneau. Christian Vigneau a un accent chantant et la rigolade facile. Alors quand il voit ses homologues français s'équiper en bassins de refroidissement pour augmenter la survie de leurs huîtres en période estivale, ça le fait doucement rire. Lui aussi cherche du matériel pour le stockage de coquillages en circuit fermé à terre. Mais la comparaison s'arrête là, ce conchyliculteur élève ses moules et ses huîtres au Québec, dans une eau qui se recouvre parfois de glace. Son souci ? Pouvoir commercialiser ses productions toute l'année, même quand les conditions météorologiques l'empêchent d'accéder à ses parcs temporairement. D'où l'intérêt des viviers à terre. Quand les conchyliculteurs français travaillent avec les marées, chez Christian Vigneau, aux Îles de la Madeleine, au cœur du golfe du Saint-Laurent, c'est la météo qui dicte les jours de sortie en mer. Dès l'automne et en hiver, des vents de 30 à 50 km/h sont une moyenne et les tempêtes monnaie courante. Christian Vigneau estime qu'il travaille sur ses parcs environ 150 jours par an. En général entre 3 et 5 jours par semaine en été et au printemps, seulement 1 à 2 jours l'hiver. Trois fois plus grand, huit fois moins peuplé Des conditions radicalement différentes de ce que l'on peut connaître ici et pas seulement du point de vue météorologique. « Le Québec est trois fois plus grand que la France et huit fois moins peuplé, rappelle Nicolas Toupoint, chargé de projets chez Merinov, un centre d'innovation de l'aquaculture et des pêches qui emploie 85 salariés sur ses quatre sites au Québec. Les enjeux sont donc très différents de ceux de la France du point de vue de la pollution et de l'eutrophisation. » Christian Vigneau a commencé à travailler dans la pêche à l'âge de 14 ans. Il est devenu patron de sa propre entreprise en 2000. Mais a dû faire face à des saisons de plus en plus restreintes, à cause du moratoire sur les poissons de fond notamment. « Au final, je ne pêchais plus que le homard neuf semaines par an. » En 2005-2006, il a donc mûri sa réflexion de reconversion et s'est lancé en 2007. Sur la moule. La moule du large. « Tous les espaces en lagunes étaient déjà occupés », rapporte celui qui, de toute façon, ne voulait pas faire comme les autres, lui qui aime le large et les challenges. Avec l'aide de Merinov, le pêcheur aquaculteur cherche donc à s'implanter en eau profonde. Il jette son dévolu sur un site qui offre une hauteur d'eau de 21 mètres, situé à 7 km du port commercial de Cap-aux-Meules. Il amarre solidement ses premières filières de 100 mètres de long avec des ancrages japonais enfoncés de trois mètres dans le fond marin. Les essais montrent qu'un an après le boudinage, les moules atteignent une taille de 58 mm en moyenne et que, dix-huit mois plus tard, elles mesurent 61 mm avec un taux de chair « plus élevé qu'en lagune, jusqu'à 42 %, témoigne le mytiliculteur. L'élevage en eau profonde donne un produit unique, très apprécié des consommateurs ». 189 ﬁlières en eau profonde C h r i s t i a n Vi gn e a u e x p l o i te aujourd'hui 189 filières : 175 sont dédiées à la moule bleue Mytilus edulis, 15 à l'huître américaine Crassostrea virginica et 2 aux algues. Il capte lui-même son naissain de moules dans deux baies des Îles de la Madeleine. Elles grossissent sur cordes pendant environ six mois puis sont ensuite dégrappées, mises en boudin et retournent à l'eau pour un an et demi. Elles sont commercialisées débysussées et vendues en sacs de 1, 2,5 ou 12,5 kg au prix de 1,25 dollar canadien la livre, soit 1,70 euro du kilo. Aujourd'hui, avec son entreprise La Moule du large qui compte 18 employés, Christian Vigneau produit 150 tonnes de moules par an. Il y a trois ans, il s'est aussi diversifié dans les huîtres. Le Québec a produit 8 tonnes de Crassostrea virginica en 2014, 38 tonnes en 2015 et prévoit 100 tonnes en 2016. « On y sera », Marion Larronde-Larretche aussi au Québec ! Après avoir démarré comme pêcheur à l'âge de 14 ans, Christian Vigneau s'est reconverti dans la mytiliculture en 2007, puis dans l'ostréiculture en 2013. promet le seul ostréiculteur de la province, Christian Vigneau. Le seul en tout cas avec des huîtres de taille marchande. Le Québec compte depuis 2014/2015 quatre autres ostréiculteurs, trois aux Îles de la Madeleine et un en Gaspésie, mais ils n'ont pas encore fait de vente commerciale de leurs produits. Christian Vigneau achète son naissain au Nouveau-Brunswick, à l'ouest des Îles de la Madeleine, quand celuici mesure entre 15 et 40 mm. « Aux Îles, on n'a pas d'huîtres indigènes. Jusqu'à présent on fonctionne bien avec le naissain de captage mais on est en train de regarder du côté des écloseries, pour sécuriser nos productions. » Il existe plusieurs écloseries au Canada, elles font toutes du naissain diploïde. Les huîtres de La Moule du large sont élevées en cages, immergées à 10 mètres de profondeur, les autres ostréiculteurs travaillant davantage avec des lanternes japonaises. Les cages, positionnées tous les 2,50 mètres, accueillent dix poches ostréicoles contenant 200 huîtres chacune. Le cycle d'élevage dure entre trois et cinq ans selon la taille de commercialisation voulue : cocktail, 66 mm de long sachant qu'à longueur égale, la Virginica est normalement plus large que la Gigas ; la taille choix 75 mm de long ; et large pour les plus de 85 mm. Les huîtres sont mangées crues, c o m m e e n Fr a n c e , a v e c u n e demande en plein essor. « Il y a un intérêt grandissant des consommateurs, même chez les jeunes ! » Ces huîtres sont vendues environ un dollar canadien l'unité, soit un peu plus de 8 euros la douzaine. Canards de mer Ces coquillages ne connaissent ni Vibrio, ni herpès virus. D'où la personnalité enjouée de Christian Vigneau ? Non, lui aussi a ses soucis. Des gros soucis. Au printemps 2015, macreuses à front blanc et eiders à duvet ont attaqué ses moules. Les filières de subsurfaces sont immergées à 10 mètres de profondeur. Mais les canards de mer plongent à 20 mètres... Ils ne dévorent pas forcément toute une descente mais en s'alimentant, « ils dégrappent tout. J'ai entièrement perdu deux années de production. Financièrement, ça a été un coup très dur ». Aujourd'hui le mytiliculteur teste différents types de cages ou systèmes de protection des boudins. Les producteurs de moules ont aussi de la prédation par les étoiles de mer « mais on arrive à la contrer en faisant tremper les petites moules trente secondes dans une saumure ». Ils ont aussi eu quelques frayeurs avec l'arrivée de crabes verts, en 2007, dans une petite baie de 3 km2 où sont captées les moules. L'espèce n'a finalement pas proliféré, peut-être à cause d'un hiver froid à la suite de leur arrivée, suppute Christian Vigneau. .../... fff Cultures MARINES n°300 - octobre 2016 5

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