Cultures marines n°315 - 51

tribune

Entreprise

« Je suis écœuré »
J'ai été convoqué à la réunion du lundi 12 février,
non pas pour avoir réuni 2 000 signatures de
professionnels sur une pétition, mais bien par
rapport à mon mandat au Comité national de
la conchyliculture (CNC), qui m'a donc permis
de faire partie des professionnels réunis avec
l'administration et l'Ifremer pour évoquer
l'immersion de moules issues d'écloserie dans
le milieu naturel dans le cadre du programme
Morbleu. La réunion commence et, très vite, le
directeur adjoint des Pêches maritimes et de
l'Aquaculture (DPMA) prend la parole, évoque
un problème de communication en interne et
rend la journaliste de Cultures marines responsable de cette incompréhension. Ça commence
bien ! Tous les professionnels prennent, chacun
leur tour, la parole pour au contraire féliciter la
presse car elle nous a permis d'être informés du
retrempage de moules d'écloserie dans le milieu
naturel. Sans cet article, la profession n'aurait
jamais eu connaissance de ces « expériences »,
ce qui on le comprend vite, aurait arrangé le
directeur adjoint de la DPMA.
Déjà une heure que la réunion a commencé et
on ne traite toujours pas du problème de fond !
Ne nous engageons pas, ni même un peu,
Ça y est, on y arrive, première question d'ordre
sur le terrain des moules issues d'écloserie.
légal, comment est-il possible pour l'Ifremer de
retremper des lots de moules issues d'écloserie
sans que nos instances de tutelles (CNC, CRC
mortalités. Allons, monsieur le directeur adjoint,
technocrate qui prend les décisions de MON
et même commission de cultures marines) n'en
vous ne nous ferez pas croire que ce programme
avenir, de NOTRE avenir.
soient informées alors qu'une délibération a été
débuté en 2014 dépend uniquement de cette
Écœuré du chemin que prend l'Ifremer sur la
prise en 2013 par le CNC contre l'immersion et le
expérience ? Mais monsieur Zunino joue sur la
sélection des moules en écloserie.
retrempage de moules d'écloserie ? Le directeur
corde sensible. En effet, et je peux l'entendre,
Écœuré que des scientifiques en recherche
adjoint nous répond que la
les professionnels touchés par
fondamentale « s'amusent » avec notre métier
délibération prise par le CNC
les mortalités me font comsans aucune préoccupation sur les conséNotre instance
n'a pas, je cite, « d'efficacité
prendre qu'ils ont besoin de
quences de MON quotidien.
juridique tant qu'elle n'a pas professionnelle pèse très
réponses et qu'après tout, les
Écœuré quand un chercheur de l'Ifremer,
été rendue obligatoire par
lots vont être retirés au mois
Julien Normand, est mis à pied avec retenue
l'autorité administrative ». Ce peu face à l'administration.
de juin donc dans quelques
sur salaire car il a retiré les lots de moules issues
qui, je traduis, veut dire : messemaines !
d'écloserie sous la pression des professionnels.
sieurs les professionnels vous
Un débat s'installe entre proÉcœuré, car notre modèle économique foncpouvez bien prendre des décisions mais elles ne
fessionnels. La réunion touchant à sa fin, j'essaie
tionne depuis bientôt 70 ans et que l'orientation
seront applicables que si cela nous convient à
d'être synthétique et je propose que le CNC se
prise par les recherches de l'Ifremer, sous couvert
nous, administration.
réunisse rapidement pour prendre une décision
de nous trouver des débuts de réponses aux
Allons bon, nous ne baissons pas les bras
commune sur le retrait ou non des lots et je
mortalités, aurait des conséquences désastreuses
et demandons à ce que l'Ifremer, pour toutes
demande au directeur adjoint, sans présumer de
sur notre métier.
expériences en milieu naturel, respecte le même
la décision du CNC, de s'engager à appliquer sous
Messieurs les producteurs, il n'est pas trop tard,
protocole qu'un professionnel, a minima une
un délai très court la dite décision. Ce à quoi il me
apportez votre soutien à Julien Normand, qui fait
autorisation de la commission de cultures marépond froidement NON, que le CNC a un avis
partie de ces chercheurs travaillant en COLLArines. Après une brève hésitation d'environ une
consultatif mais en aucun cas peut « obliger »
BORATION avec les professionnels, et qui sont
seconde, le directeur adjoint nous répond NON.
l'administration.
l'avenir de l'Ifremer dans sa mission de conseil.
Ah, coup dur, on avait deux demandes et la
Je suis écœuré.
Ne nous engageons pas, ni même un peu, sur
première est rejetée froidement sans aucune
Écœuré du comportement de M. Zunino,
le terrain des moules issues d'écloserie, même si
ouverture au dialogue. Mais la réunion passe,
directeur adjoint de la DPMA, qui ne nous écoute
certains d'entre nous rencontrent des épisodes
donc passons vite à la deuxième : on exige que
pas.
de mortalités depuis quatre ans, cela aurait de
les lots immergés soient retirés immédiatement
Écœuré de voir que notre instance professiontrès graves conséquences sur la pérennité de
du milieu naturel.
nelle du CNC pèse très peu face à l'administranos entreprises.
Et là, j'avoue, habilement, le directeur adjoint
tion censée mettre en application nos décisions.
Notre force actuelle est la diversité, diversité
avec l'appui de l'Ifremer nous explique que retirer
Écœuré, quand on me fait comprendre que
car tous nos produits sont différents et chaque
les lots, c'est condamner le programme Morbleu
l'avis des professionnels n'est pas pris en compte.
consommateur se reconnaît dans chacun d'entre
qui est censé nous apporter des réponses sur les
Écœuré, quand on m'explique que c'est un
eux.
Cultures MARINES n°315 - avril 2018

Marion Larronde-Larretche

Par Stéphane Hesry,
mytiliculteur en baie du mont Saint-Michel, dirigeant de Cap à l'ouest

Table des matières de la publication Cultures marines n°315