HSMilitairesFR2016 - 19

Hors-série le marin

Vendredi 14 octobre 2016

IndustrIe et programme

Sur quoi portent les incertitudes ?
Le gouvernement australien a
choisi la France, avec DCNS en
chef de file, pour la réalisation de
douze sous-marins en Australie.
Nous travaillons actuellement à
la mise en place de l'organisation de conduite du programme,
entre la France et l'Australie, et
nous discutons avec notre client
australien des termes de notre
coopération. Ce programme
porte la création de plusieurs
milliers d'emplois au sein d'une
filière navale franco-australienne
que nous aidons à structurer.

intermédiaire
ne veut pas dire
au rabais.

Le lancement du programme
de frégate de taille intermédiaire (FTI) doit intervenir en
fin d'année. Quel est le challenge ?
Il est triple. Un, il faut répondre
à l'objectif essentiel de la Marine
de disposer d'une frégate de
premier rang. Ce n'est pas parce
qu'elle est de taille intermédiaire
qu'elle est au rabais. Il faudra
qu'elle soit à la hauteur, opérationnellement et techniquement, pour rentrer dans la cible
des quinze frégates de premier
rang fixée par le livre blanc sur
la Défense. Un nombre significatif de performances de cette
frégate de 4 000 tonnes seront
même supérieures à celles de la
Fremm, sur un bateau 30 % plus
petit. Deuxième défi, la pression sur les coûts et les délais
est colossale. Il faut que la première FTI sorte en 2023. Nous
avons anticipé en matière d'évolution des méthodes d'ingénierie
avec le travail en plateau. Le nouvel ERP (Enterprise Resource
Planning) va beaucoup nous
aider. Mais nous avons encore
beaucoup de travail à faire. Et

DCNS

partenaires industriels : études,
équipementiers, services... Mais
il est beaucoup trop tôt pour
faire des évaluations fiables en
termes d'effectifs. Une certitude. Si nous n'avions pas remporté le programme SEA1000
pour l'Australie, nous aurions eu
un énorme problème de maintien des compétences dans
le domaine des sous-marins.
Ce programme nous apporte
10 ans de visibilité. Il va contribuer à maintenir les compétences stratégiques nécessaires
pour les futurs programmes de
sous-marins français. Entre les
études du Barracuda et celles
du SNLE de 3e génération, qui
heureusement démarrent, il y a
en effet un intervalle de quatre à
cinq ans. D'une certaine façon,
servir la souveraineté de l'Australie, cela sert aussi la souveraineté
française. Mais si les impacts en
termes d'études commencent à
être bien mesurés, il n'en va pas
de même pour la phase de production.

Hervé Guillou, avec le président de la république François Hollande, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, Jean-Marc Ayrault, ministre
des Affaires étrangères, et Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur (et ancien député de la Manche) après l'annonce du choix de DCNs
pour le programme des sous-marins australiens, en avril 2016.
nous ne pouvons pas accepter
de prendre des programmes à
marge nulle. C'est hors de question. Le troisième défi, c'est que
nous avons pris en compte l'exportabilité du bâtiment dès le
début des études. Non seulement, il faut qu'il soit au top du
point de vue opérationnel, mais
il faut aussi que son design soit
suffisamment flexible et versatile
pour être capable de proposer
des versions export diversifiées
à des marines qui peuvent avoir
des besoins très différents.
Par exemple, est-il envisagé
qu'une version export de la FTI
puisse emporter le missile de
croisière naval ?
Oui. D'ailleurs notre offre de
frégates pour le Qatar comportait le missile de croisière. Il faut
être prêt à une versatilité extrêmement forte, y compris en
performance et en prix, des différentes déclinaisons de la FTI.
Et ça, c'est plutôt nouveau car
le bateau modulaire, ce n'est
pas trop dans la culture du naval
militaire. Or, cela va être indispensable pour deux raisons. La
première, c'est l'accès au marché export avec des versions
diversifiées, même si avec un
bâtiment de 4 000 tonnes, on
est bien positionné au cœur du
marché. La deuxième raison,
c'est d'être capable d'intégrer
plusieurs cycles de régénération
technologique.

La FTi sera
le premier bateau
digital.

Vous dévoilez le design de
la FTI lors du prochain salon
Euronaval, au Bourget. Quelles

seront les principales caractéristiques de cette frégate ?

sont vos chances de l'emporter ?

La vraie révolution de la
FTI, c'est qu'elle sera le premier bateau digital. Et cela, ça
ne se voit pas sur les photos.
L'organisation de data centers,
l'impératif de la cyber-sécurité, l'intégration des communications et des systèmes de
commandement externes et
internes, la gestion de flux de
données considérables, c'est
cela le bateau digital. La FTI
sera un bateau connecté, avec
des objets connectés. Cela va
conduire à revoir profondément
les concepts de maintenance.
Nous avons déjà lancé ce que
l'on appelle l'usine à logiciels
dans les ports d'entretien. Une
frégate Fremm, c'est 23 millions
de lignes de code temps réel. La
gestion de la configuration logicielle d'une Fremm ou d'une frégate de 4 000 tonnes va devenir
le problème numéro 1.

Nous
attendons
l'appel
d'offres. Nous avons déjà
entamé un dialogue industriel
approfondi. Nous faisons évoluer notre concept Scorpène
pour l'adapter aux besoins norvégiens. La Marine nationale travaille bien sûr étroitement avec
la marine norvégienne et la DGA
avec leurs homologues. Nous
sommes en train de mettre en
place toutes les briques pour
faire une offre de qualité.

Sur ce marché des navires
fortement armés, comment
analysez-vous
l'échec
du
Qatar ?
Une analyse en profondeur
et une analyse de retour d'expérience sont en cours pour tirer
toutes les leçons pour les offres
futures. Il est clair que dans la discussion avec le comité de sélection, nous n'avons pas offert du
tout le même bateau que les
Italiens. Les différences étaient
considérables en matière de performances opérationnelles. Les
Italiens ne proposaient pas un
concept autonome de défense
antibalistique, ni le missile de
croisière naval. Nous n'avons
pas couru la même régate et la
ligne d'arrivée n'était pas placée
au même endroit.
La Norvège souhaite acquérir six sous-marins. Vous lui
proposez le Scorpène. Quelles

L'intention de
nuire est avérée.

Les Norvégiens souhaitent
des sous-marins dotés d'un
système AIP de propulsion
anaérobie. Que leur proposezvous ?
Notre système d'AIP repose
sur une pile à combustible alimentée en hydrogène par
un reformage gas-oil dont on
considère qu'il est une solution
gagnante. Son niveau de maturité technique est maintenant
élevé. À Indret, le prototype a
tourné de nombreuses heures.
On est maintenant dans le timing
pour faire une belle offre d'AIP
aux Norvégiens. L'énorme avantage que nous voyons à notre
solution d'AIP, c'est que le même
combustible sert pour la propulsion aérobie et pour la propulsion anaérobie. Cela donne une
énorme flexibilité d'emploi au
sous-marin.
Quels
atouts ?

sont

vos

autres

Tout ce que nous avons
démontré en matière d'équation

acoustique en Australie vaudra
aussi pour la Norvège : qualité du sonar, de la discrétion
acoustique et du propulseur...
On saura aussi monter avec l'ensemble de l'équipe France un
partenariat industriel tout à fait
attractif pour l'industrie norvégienne. Ce volet est très important. Pour gagner une affaire, il
faut être bon dans tous les compartiments du jeu.
La révélation du vol de données concernant les sousmarins Scorpène indiens a
fortement secoué l'entreprise.
Quelles sont les premières
conclusions que vous tirez de
cette affaire ?
Une enquête conduite par
les autorités françaises est en
cours en France pour déterminer la nature exacte des documents qui ont fait l'objet d'une
publication illégale dans le quotidien. À ce stade, nous notons
trois faits. Le premier, les documents publiés sur le site de
The Australian ne comportent
aucune information qui causerait un préjudice opérationnel à
nos clients. Ce sont des petits
extraits d'une part de documents
de spécifications datant au minimum d'une quinzaine d'années
et d'autre part de documents de
type « manuel de bord », dans
des versions datant de 2011 ou
antérieurs, utilisés pour la formation des équipages. Deuxième
sujet, l'intention de nuire est avérée. Troisième sujet, c'est maintenant à la justice d'agir. Nous
avons porté plainte. Nous faisons
confiance aux services de l'État
pour mener à bien ces investigations et trouver les voleurs. La
justice australienne, de son côté,
a déjà répondu qu'il s'agissait
d'une publication illégale.
Propos recueillis
par Olivier MÉLENNEC

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