Journal le marin - n°3096 - 10 novembre 2006 - (Page 33)
mémoire de l’histoire Suez 1956 : « Tout va bien à bord » Il y a cinquante ans, une formidable armada franco-anglaise s’est portée dans l’est de la Méditerranée pour intervenir militairement en Égypte. C’était l’expédition dite de Suez… Pour le quarantième anniversaire de l’affaire de Suez, nous avions publié, ici même, une longue série de témoignages issus de marins du commerce ayant participé aux opérations sur le pont de leurs navires. Environ 70 paquebots, cargos et pétroliers avaient été réquisitionnés pour transporter troupes et matériels en Égypte : il s’agissait de récupérer par la force la zone du canal de Suez que le président égyptien Nasser venait de nationaliser. Dix ans plus tard, il est difficile de trouver de nouveaux témoignages, hormis ceux que nous présentons plus loin : ainsi, l’épouse d’un officier de la marine marchande raconte, cette semaine, ce qu’elle a vécu de son côté, alors que son mari ne pouvait pas donner de nouvelles à cause de la censure militaire. Marie-Claudine Le Gall est en effet l’épouse du commandant du pétrolier de la Compagnie navale des pétroles Gonfreville, réquisitionné pour servir de ravitailleur à la flotte d’intervention (en fait, l’officier alternait les fonctions avec son collègue Robert Deville : l’un était commandant quand l’autre était second capitaine, et vice versa ; durant l’affaire de Suez, Eugène Le Gall était second capitaine, mais il était bien commandant aux voyages antérieurs et aux voyages postérieurs). Le commandant Eugène Le Gall étant décédé, restent les souvenirs familiaux, ainsi que des notes manuscrites et des lettres datant de l’époque (1)… « Ça doit être mon mari, raconte Madame Le Gall, qui m’a téléphoné un jour, sans doute courant septembre 1956, pour m’annoncer que son navire, le pétrolier Gonfreville, avait été engagé avec la marine de guerre pour alimenter en pétrole les bateaux militaires. Lors de l’escale de son bateau à Toulon, il m’a envoyé un télégramme par lequel il me demandait de venir le rejoindre avec notre petite Anne, âgée de quelques mois. Je suis donc partie par le train et me suis rendue à Toulon chez une cousine où mon mari m’a retrouvée. Ensuite, nous sommes allés sur le pétrolier, qui était là, au milieu des bâtiments de guerre. Je n’y suis restée qu’un jour ou deux. Le matin à 6 h, je me souviens, il y avait la revue, avec le clairon, etc. et je tenais à y assister. APPELÉ À TOUT MOMENT Puis le Gonfreville a été appelé à Lavéra, en face de Portde-Bouc, pour faire le plein de mazout. Nous avons été acceptées à bord, d’autres dames et moi, pour ce court voyage (les autres étaient peut-être des épouses de matelots ; en tout cas, je sais que nous n’avons pas pris nos repas ensemble). À Lavéra le navire n’est pas resté longtemps, juste le temps de faire le plein. Or, nous n’avons pas eu l’autorisation de rejoindre Toulon à bord, car le Gonfreville pouvait être appelé à tout moment en chemin pour partir sur Suez. Avec Mme Le Berre - autre femme d’officier, mécanicien je crois - et son bébé Jacky, nous avons donc pris le car pour rejoindre Saint-Mandrier, en face de Toulon, où nous nous sommes retrouvées dans une caserne de la marine, à attendre le bateau. Or celui-ci ne venait pas. On se faisait du souci : « Peutêtre qu’il a été appelé en route Famille Le Gall Le télégramme du commandant Le Gall à son épouse, daté du 30 septembre 1956. et qu’il est parti à Suez ? » Pendant cette attente, ça a été le moment de donner le biberon aux bébés. Je me suis donc permise d’entrer dans la caserne ; ça sentait la cuisine, et j’ai demandé à un marin, là : « Est-il possible de chauffer deux biberons ? - Bien sûr, Madame… » Il attrape les biberons et les colle dans une grande marmite où cuisaient des artichauts ! Mme Le Berre me pousse du coude et me dit : « Jamais ils boiront, vous ne voyez pas ? » Et puis, le bateau est arrivé. Nous avons pris une vedette pour venir à bord et on est retournés sur la rade, peut-être une journée. Je me souviens aussi qu’avec Mme Le Berre, nous sommes allées à la plage à La Seyne. Puis le bateau est parti pour de bon et je suis retournée au Havre via Paris. Après, plus de nouvelles ! J’ai su plus tard que le Gonfreville s’est rendu du côté de Chypre, et je n’avais des nouvelles que par l’agence de la CNP qui m’envoyait des cartes disant juste : « Tout va bien à bord du Gonfreville. » (à suivre) (1) « le marin » a publié les souvenirs du commandant Le Gall relatant la période où, lieutenant, il a fait naufrage lors du torpillage, le 15 mars 1943, du cargo « Wyoming ». Lire notre rubrique d’avril et mai 2004. Jean-Claude Bonnardel Le pétrolier type T2 « Gonfreville », photographié depuis l’« Orcher », son sister-ship au sein de la Compagnie navale des pétroles, croise dans l’est de la Méditerranée et se dirige vers Port-Saïd. Mais la photo date de décembre 1950 et non de l’affaire de Suez Il existe peu de photographies de navires marchands fin 1956 pendant les opérations de Suez. Vendredi 10 novembre 2006 L’épouse et la fille du commandant Le Gall, « héroïnes » de la présente rubrique, posent sur le « Gonfreville » lors d’une escale au Havre juste après l’affaire de Suez, en mars 1957. Famille Le Gall
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