Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux - 42

28

LA FIDUCIE : ASPECTS JURIDIQUES ET FISCAUX

propriété fait partie des droits réels. Le droit de propriété n'est pas un simple droit
réel, il est considéré unanimement par la doctrine comme le plus complet et le
plus achevé des droits réels. Il s'oppose aux autres droits réels dans la mesure où
il offre une plénitude de prérogatives sur la chose tandis que les autres droits réels
principaux s'entendent des démembrements de la propriété. Ceux-ci ont la particularité de ne conférer à leur titulaire qu'une partie seulement des prérogatives
attachées au droit de propriété. Ainsi, le transfert fiduciaire donnerait naissance à
un nouveau droit réel principal, qui sans être un droit de propriété permettrait de
distribuer entre plusieurs personnes les prérogatives attachées à la propriété. En
d'autres termes, la fiducie créerait une autre hypothèse de démembrement de la
propriété à côté des hypothèses déjà connues : l'usufruit, le droit d'usage et d'habitation, la servitude ou encore l'emphytéose. C'est ainsi que de nombreux auteurs
considèrent qu'en raison du caractère temporaire et limité des prérogatives du
fiduciaire, le fiduciaire ne peut disposer d'un véritable droit de propriété au sens
de l'article 544 du Code civil, mais d'un simple droit réel, « c'est-à-dire une obligation réelle grevant la propriété d'autrui » ou encore un « droit réel sur la chose
d'autrui »14. Mais alors qui serait le véritable propriétaire ?
60. Le professeur Rémy Libchaber envisage successivement quatre hypothèses : en premier lieu, il rejette l'idée que le constituant puisse demeurer le propriétaire des biens, malgré la constitution de la fiducie. En effet, la logique de la
fiducie repose sur un transfert de propriété afin que le fiduciaire puisse exercer sa
mission. En second lieu, il suppose que le fiduciaire soit le propriétaire des biens.
Il rejette cette solution, car, selon lui, la propriété qui est conférée au fiduciaire est
temporaire et que ses prérogatives sont déterminées par les besoins que sa mission
nécessite. En troisième lieu, il envisage que la fiducie puisse n'appartenir à personne. La fiducie serait alors un patrimoine d'affectation sans maître sur le modèle
de la fiducie québécoise. Mais il rejette là encore cette solution. Ainsi, pour lui, le
seul intervenant à disposer des prérogatives d'un propriétaire est le bénéficiaire.
Quant au fiduciaire, il dispose également d'un droit réel, tandis que sont octroyées
au fiduciaire des prérogatives à géométrie variable, pouvant aller jusqu'à l'abusus.
L'auteur fait un parallèle avec le quasi-usufruit15. Pour la majorité de la doctrine,
il s'agit d'une opération translative de propriété16 en faveur du quasi-usufruitier. Il
y a eu transfert de propriété, donc, le propriétaire initial de la chose a cessé de
l'être et l'usufruitier l'a remplacé dans cette qualité. Mais pour lui, cette opération
ne peut s'analyser que sous l'angle du droit réel, il faut aussi prendre en compte
un autre aspect de leurs relations : un aspect personnel, car le quasi-usufruitier est
14. R. Libchaber, op. cit., spéc. n° 20 et s. ; du même auteur et déjà avant l'entrée en vigueur de la
loi de 2007, « Une fiducie française, inutile et incertaine... », dans Liber amicorum Philippe Malaurie,
Defrénois, 2005, p. 317, n° 13 ; F. Danos, op. cit., spéc. n° 43 ; P. Crocq, th. préc., spéc. n° 242, p. 195 ;
A. Raynouard, « Lorsque le Conseil constitutionnel sauve le Code civil d'un alinéa inutile et inefficace...
tout en mettant la fiducie (encore) sous les feux de la rampe », JCP N 1014.
15. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 11e éd. 2016 : v. Quasiusufruit : « Droit équivalent à l'usufruit qui porte sur des choses consomptibles par le premier usage et,
pour cette raison, confère à son titulaire la faculté de les consommer ou de les aliéner, à charge de restituer
à la fin de l'usufruit soit des choses de même quantité et qualité, soit leur valeur estimée à la date de
restitution ».
16. P.  Sirinelli, « Le quasi-usufruit », LPA, 1993, n°  87, p.  30 et spéc.  n°  89, p.  4. V.  égal. :
F. Zénati, « La nature juridique du quasi-usufruit (ou la métempsycose de la valeur) », dans Mélanges
Pierre Catala, p. 605. Contra : R. Hamou, « La fiducie-gestion et le quasi-usufruit : étude approfondie
des effets de la consomptibilité », Dr. et patr. 2003, n° 119, p. 48-57 ; M. Grimaldi, « L'usufruit et le
quasi-usufruit : question de droit civil », Dr. et patr., nov. 1999, p. 58.
Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux

Table des matières de la publication Doctorat & Notariat - Tome 60 - La fiducie : aspects juridiques et fiscaux
