Carrières judiciaires - Entrer à l’ENM - L’épreuve de connaissance et compréhension du monde contemporain - 3e - 237

PARTIE 4 - ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION SUR DOUZE SUJETS POTENTIELS

Ernest Renan, dont s'inspire en partie Julien Benda, définit ainsi la nation, en 1882,
dans sa célèbre conférence prononcée à la Sorbonne « Qu'est-ce qu'une nation ? » :
« un plébiscite de tous les jours », et insiste également sur ce « sentiment de vouloir
vivre ensemble », proche de la notion républicaine de "fraternité", ou de celles, qui en
dépendent, de "solidarité" - "solidarité organique" dirait Émile Durkheim - et de "lien
social". Il convient d'observer ici que ce sentiment national est souvent galvanisé, à
tout le moins préservé, par des symboles - républicains eux aussi : le drapeau tricolore - unificateur de toutes les communautés selon Mona Ozouf -, la Marseillaise,
Marianne - d'abord icône de la République française, mais rapidement icône de la
France entière, rappelle son plus grand historien, Maurice Agulhon -, le culte des
Grands Hommes symbolisé par le Panthéon, les héros nationaux dont la vertu nationale procède de leur sacrifice personnel consenti au nom de la communauté nationale
en péril : Vercingétorix, Jeanne d'Arc, le jeune Bara, Jean Moulin. Ce sont là, donc,
autant d'éléments fédérateurs autour de l'idée nationale, résolument prise en bonne
part ici.
Cette conception, plus ouverte, de la nation n'est pas pour autant, en tout cas pas
mécaniquement, universaliste et tout entière abstraite, ni exempte de toute diversité,
communautaire comme culturelle.
La langue française a certes joué un grand rôle dans l'unification de la nation, ce,
d'ailleurs, dès l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 : le français y apparaît alors
comme la langue officielle dans tous les textes administratifs, et sur tout le territoire.
Et, Dieu sait combien l'abbé Grégoire, trois siècles et demi plus tard, parachèvera
l'édifice unificateur via la langue, en combattant les patois locaux, au profit d'une
langue centrale, proche de l'Oïl, au détriment des accents d'Oc, dont la langue, ironie
du sort, ne subsistera officiellement plus que dans la région éponyme.
Mona Ozouf parle ainsi, à juste titre semble-t-il, d'« éradication des différences »,
œuvre du jacobinisme centralisateur assurément. Pour autant, la France n'est pas,
au rebours de ce que laisse accroire Mona Ozouf, pure de toute diversité.
Les historiens eux-mêmes l'ont compris très tôt. Ainsi de Fernand Braudel qui,
dans son Identité de la France, intitule un chapitre clé « Que la France se nomme
diversité » ; ainsi encore d'André Siegfried, lequel, dans L'Âme des peuples, reconnaît
en 1950, preuves historiques à l'appui, que la France est le fruit de la diversité - un
fruit composite, mais composé, proche en cela de l'intuition de la « Composition française » de Mona Ozouf - puisque la France et les Français héritent tout ensemble des
Celtes, des Germaniques, des Gaulois, des Romains, autrement dit du génie romain,
du génie gaulois...
La diversité même paraît ainsi inscrite dans le Génie français, en ressourcement
perpétuel, et donc encore à venir dans ses manifestations et ses caractéristiques.
Sans doute est-ce là la dimension vivante, "philosophale" presque, mais non philosophique et abstraite de la France, irréductible, donc, aux dimensions barrésiennes
de celle-ci.
La conception de Julien Benda, considérant la France comme « la revanche de
l'abstrait sur le concret » reste incomplète. Si elle marque l'idée d'identité nationale
du sceau de la raison, de la pensée analytique, comme pour mieux la démarquer
de l'empirisme anglo-saxon et de l'idéalisme allemand, et comme pour se détacher
de la synthèse opérée par le philosophe français Victor Cousin au XIXe siècle, elle
inscrit le génie français dans le sillage d'un Descartes ou d'un Malebranche, par

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