Revue - Les Cahiers sociaux n° 295 - Avril 2017 - 22

Contrat de travail

de cassation française (Cass. soc., 9  avr. 2015,
n° 13-19855 : Cah. soc. mai 2015, n° 116d2, p. 261).
Dans l'espèce belge (C-157-15), une salariée,
de confession musulmane, fait savoir à son
employeur qu'elle avait l'intention de porter le
foulard islamique pendant les heures de travail.
En réponse, la direction de G4S l'informe que le
port du foulard ne serait pas toléré car le port
visible de signes politiques, philosophiques ou
religieux était contraire à la neutralité à laquelle
s'astreignait l'entreprise dans ses contacts avec
ses clients. Le comité d'entreprise de G4S a
approuvé une modification du règlement intérieur dans lequel il est stipulé qu'«  il est interdit
aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des
signes visibles de leurs convictions politiques,
philosophiques ou religieuses ou d'accomplir tout
rite qui en découle ». En raison de sa volonté persistante de porter le foulard islamique sur son lieu
de travail, la salariée est licenciée. Elle conteste
ce licenciement devant les juridictions belges. La
Cour de cassation belge a interrogé la CJUE sur
l'interprétation de la directive de l'Union sur l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail : l'interdiction de porter un foulard islamique,
qui découle d'une règle interne générale d'une
entreprise privée, constitue-t-elle une discrimination directe  ? Reprenant quasiment mot pour
mot les conclusions de l'avocat général (Cah. soc.,
août-sept.  2016, n°  119d6, p.  428), la CJUE juge
que « l'article 2 [...] de la directive 2000/78/CE [...]
doit être interprété en ce sens que l'interdiction
de porter un foulard islamique, qui découle d'une
règle interne d'une entreprise privée interdisant le
port visible de tout signe politique, philosophique
ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas
une discrimination directe fondée sur la religion
ou sur les convictions au sens de cette directive.
En revanche, une telle règle interne d'une entreprise privée est susceptible de constituer une
discrimination indirecte au sens de l'article 2 [...]
de la directive 2000/78 s'il est établi que l'obligation en apparence neutre qu'elle prévoit entraîne,
en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la
poursuite par l'employeur, dans ses relations avec
ses clients, d'une politique de neutralité politique,
philosophique ainsi que religieuse, et que les
moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ».
Dans l'espèce française (C-188/15), une salariée
portant le foulard islamique sur son lieu de travail,
fait l'objet, en raison du port du voile, d'une plainte
d'un client auquel elle avait été assignée par son
employeur. Son employeur a réaffirmé le principe
de nécessaire neutralité à l'égard de sa clientèle et lui a demandé de ne plus porter le voile.
La salariée s'y est opposée et a été licenciée par
la suite. Elle a contesté son licenciement devant
les juridictions françaises. Saisie de l'affaire, la
Cour de cassation française demande à la CJUE

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si la volonté d'un employeur de tenir compte du
souhait d'un client de ne plus voir ses services
fournis par une travailleuse qui porte un foulard islamique peut être considérée comme une
« exigence professionnelle essentielle et déterminante » au sens de la directive (Cass. soc., 9 avr.
2015, n° 13-19855 : Cah. soc. mai 2015, n° 116d2,
p. 261). L'avocat général estime dans cette affaire
qu'« un règlement de travail d'une entreprise qui
interdit aux travailleurs de cette entreprise de
porter des signes ou tenues vestimentaires religieux lorsqu'ils sont en contact avec la clientèle
de l'entreprise entraîne une discrimination directe
fondée sur la religion ou les convictions, à laquelle
ne s'applique ni l'article 4 [de la directive 2000/78]
ni aucune des autres dérogations à l'interdiction
de la discrimination directe fondée sur la religion
ou les convictions prévues par cette directive. Il
en va ainsi a fortiori lorsque la règle en question
s'applique au seul port du foulard islamique. En
cas de discrimination indirecte fondée sur la religion ou les convictions, l'article 2 [de la directive
2000/78] devrait être interprété en ce sens que les
intérêts de l'entreprise de l'employeur constituent
un objectif légitime aux fins de cette disposition.
Une telle discrimination n'est cependant justifiée
que si elle est proportionnée à cet objectif » (Cah.
soc. août-sept. 2016, n°  119d6, p.  428). La CJUE
ne se prononçant que sur la demande directe de
la Cour de cassation ne reprend à son compte
qu'une partie des conclusions de l'avocat général : « l'article 4 [...] de la directive 2000/78/CE du
Conseil, du 27 novembre 2000 [...] doit être interprété en ce sens que la volonté d'un employeur
de tenir compte des souhaits d'un client de ne
plus voir les services dudit employeur assurés par
une travailleuse portant un foulard islamique ne
saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens
de cette disposition. »
Les deux arrêts fondent à la fois une théorie de
l'expression religieuse dans l'entreprise et offrent
un mode d'emploi du traitement de ces questions
aux entreprises.
Sur le plan théorique, la CJUE répond au préalable à une question complexe et indispensable
à l'appréhension d'une discrimination en raison
de la religion (v. nos obs  : Cah. soc. mai 2015,
n° 116d2, p. 261) : qu'est-ce que la religion ? Elle
se conforme sur ce point à l'approche de la CEDH
en retenant une acception large de la notion de
religion, incluant dans cette notion « tant le forum
internum, à savoir le fait d'avoir des convictions,
que le forum externum, à savoir la manifestation
en public de la foi religieuse ». Toutefois, une règle
qui se réfère au port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses
et vise donc indifféremment toute manifestation de telles convictions, doit être considérée
comme traitant de manière identique tous les
travailleurs de l'entreprise, en leur imposant, de
manière générale et indifférenciée, notamment
une neutralité vestimentaire s'opposant au port
de tels signes. Elle n'instaure pas de différence

Les Cahiers soCiaux n° 295 - avriL 2017

de traitement directement fondée sur la religion
ou sur les convictions. En d'autres termes, il n'y
a pas de discrimination religieuse si une mesure
individuelle est fondée sur une règle générale de
l'entreprise prohibant de manière indifférenciée
la manifestation des convictions.  La CJUE donne
corps à la théorie proposée par François Gaudu
de l'entreprise de tendance laïque (Dr. soc. 2011,
1186) qui co-existerait à côté de l'entreprise de
tendance religieuse (sur laquelle, v. Messner  F.,
Prelot  P.-H. et Woehrling  J.-M., Droit français des
religions, 2e  éd., LexisNexis, 2013, n°  1181 et s.).
Rejetée par la commission nationale consultative
des droits de l'homme estimant que « cela conduirait [...] à conférer un blanc-seing aux employeurs
pour priver leurs salariés de leur droit à exprimer
leurs convictions religieuses  » (avis sur la laïcité,
26  sept.  2013), elle est ici validée. Lorsqu'en
revanche une décision individuelle d'interdiction d'expression des convictions religieuses ne
s'appuie sur aucun texte, elle entre a priori dans
le champ des discriminations sauf à ce qu'il soit
démontré qu'en raison de la nature d'une activité
professionnelle ou des conditions de son exercice, la mesure constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant
que l'objectif est légitime et que l'exigence est
proportionnée. Or, sur ce point, la CJUE confirme
son approche stricte de la notion d'exigence
professionnelle déterminante - reprise à l'article
L.  1133-3 du Code du travail - selon laquelle
«  c'est non pas le motif sur lequel est fondée la
différence de traitement, mais une caractéristique
liée à ce motif qui doit constituer une exigence
professionnelle essentielle et déterminante  ».
En outre, cette exigence doit être objectivement
dictée par la nature ou les conditions d'exercice
de l'activité professionnelle en cause et ne saurait couvrir des considérations subjectives, ce qui
exclut la volonté de l'employeur de tenir compte
des souhaits particuliers du client.
Sur le plan pratique, les choses s'éclaircissent
pour les entreprises. Elles peuvent interdire l'expression des convictions religieuses, en l'inscrivant dans le règlement intérieur, la CJUE conférant
à ce titre un brevet de conventionnalité implicite
au nouvel article L.  1321-2-1 du Code du travail
issu de la loi Travail selon lequel le règlement intérieur peut contenir « des dispositions inscrivant le
principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités
du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles
sont proportionnées au but recherché ». Il faudra
dès lors soit une interdiction générale mais particulièrement justifiée au regard du contexte de
l'entreprise, soit - et c'est préférable pour éviter
le reproche de discrimination indirecte (v. infra)
- une interdiction limitée à certaines catégories
de salariés, notamment au regard des conditions
d'exercice (clientèle, sécurité...). Il incombe donc
aux entreprises d'entreprendre, si elles souhaitent
imposer la neutralité, une modification de leur



Table des matières de la publication Revue - Les Cahiers sociaux n° 295 - Avril 2017

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