Revue - Les Cahiers sociaux n° 295 - Avril 2017 - 34

Relations professionnelles

basculement du niveau de la négociation collective... L'interprétation du Conseil constitutionnel,
visant à conférer une application immédiate à la
loi, s'imposait-elle au juge judiciaire, alors qu'elle
n'était pas le support nécessaire à sa décision ?
Que la Cour de cassation se soit posé cette question ou pas (il ne semble pas qu'elle se la soit
posée, au vu de la note explicative qui accompagne l'arrêt), l'arrêt du 1er mars 2017 consacre la
position du Conseil constitutionnel. En l'espèce,
un accord collectif signé avec la délégation unique
du personnel a porté le contingent annuel
d'heures supplémentaires à un niveau supérieur à
celui prévu par l'accord de branche. Une fédération syndicale a sollicité l'annulation de l'accord.
Pour faire droit à cette action, la cour d'appel a
retenu, d'abord, que si le Conseil constitutionnel a
indiqué que les parties à la négociation collective
peuvent dès la publication de la loi du 20  août
2008 conclure des accords d'entreprise prévoyant
un contingent différent d'heures supplémentaires
(du contingent prévu par les conventions collectives antérieures), c'est à la condition d'avoir
dénoncé ces conventions antérieures, ce qui n'est
pas le cas en l'espèce concernant l'accord cadre
de branche en date du 8  février 1999. Les juges
d'appel ont ajouté, ensuite, que cet accord cadre,
qui a été conclu avant la loi du 4 mai 2004, laquelle
a remis en cause la hiérarchie des normes
jusqu'alors en vigueur, ne comprend pas de dispositions permettant expressément aux entreprises
d'y déroger et fixe le contingent d'heures supplémentaires à 130 heures par an et par salarié. Pour
finir, les juges du fond soutiennent qu'il n'est pas
possible de conclure d'accord collectif d'entreprise déterminant un contingent d'heures supplémentaires supérieur à celui prévu par l'accord de
branche. L'arrêt est cassé, au visa de l'article
L.  3121-11, alinéa  1, du Code du travail dans sa
rédaction issue de l'article 18 de la loi n° 2008-789
du 20  août 2008. La haute Cour rappelle qu'aux
termes de ce texte, des heures supplémentaires
peuvent être accomplies dans la limite d'un
contingent annuel défini par une convention ou un
accord collectif d'entreprise ou d'établissement
ou, à défaut, par une convention ou un accord de
branche. Elle ajoute que ces dispositions sont
d'application immédiate et permettent de fixer par
voie d'accord d'entreprise ou d'établissement le
contingent d'heures supplémentaires à un niveau
différent de celui prévu par l'accord de branche,
quelle que soit la date de conclusion de ce dernier.
Ce n'est ainsi que sur les thèmes à propos desquels s'appliquent les rapports conventionnels
entrant dans le champ d'application de la loi du
4 mai 2004 que le raisonnement de la cour d'appel
aurait été admissible, pas sur les thèmes à propos
desquels la loi du 20  août 2008 a imposé à l'accord de branche sa propre supplétivité par rapport
à l'accord d'entreprise. La loi Travail du 8  août
2016 instaure une supplétivité quasi-généralisée
de l'accord de branche par rapport à l'accord
d'entreprise en matière de durée du travail, de
repos et de congés. S'agissant de l'application de

196

la loi dans le temps, l'étude d'impact du projet de
loi s'inscrit dans la lignée du Conseil constitutionnel : « lorsque la loi le permet, les accords d'entreprise qui seront conclus postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi prévaudront sur les
accords de branche, y compris sur ceux ayant été
conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la
loi même lorsqu'ils prévoient des clauses de verrouillage » (Étude d'impact du 24 mars 2016, p. 33).
L'article 8 XIV de la loi Travail dispose, quant à lui,
que l'article 45 de la loi du 4 mai 2004 « n'est pas
applicable aux conventions et accords conclus en
application des dispositions du livre Ier de la troisième partie du Code du travail qui prévoient la
conclusion d'un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, d'une convention ou d'un
accord de branche ». La solution consacrée ici par
la Cour de cassation a donc vocation à se
généraliser.
120q5

120q6

Annulation partielle de
l'arrêté d'extension de
la CCN de la production
cinématographique
CE, 15 mars 2017, no 390810

120q6
L'arrêté d'extension d'une convention ou d'un
accord collectif ne modifie pas la nature du texte,
qui reste un acte de droit privé. Lorsque l'interprétation ou la validité d'une convention collective
fait l'objet d'une contestation sérieuse, à l'occasion d'un recours à l'encontre d'un arrêté d'extension, le juge administratif doit surseoir à statuer
jusqu'à ce que le juge judiciaire se prononce.
Toutefois, le juge administratif peut connaître d'un
acte de droit privé s'il apparaît manifestement, au
vu d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation, que la contestation peut être accueillie par
le juge saisi au principal. C'est en se référant à
cette doctrine que le Conseil d'État censure, une
nouvelle fois, l'arrêté d'extension de deux séries
de dispositions de la CCN de la production cinématographique du 19 janvier 2012. Déjà, dans un
arrêt du 7 mai 2015 (CE, 7 mai 2015, n° 375882 :
Lebon ; Cah. soc., juill. 2015, n° 116p8, p. 384), la
haute juridiction administrative avait annulé l'arrêté portant extension, d'une part, de l'article 4.1.2
du sous-titre II du Titre III relative au temps de travail des acteurs de complément et, d'autre part,
de l'Annexe  III-2 au sous-titre  II du Titre  III de la
convention collective litigieuse, prévoyant un
barème de salaires minimaux garantis aux acteurs
de complément. Par un arrêté du 31 mars 2015, le
ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation
professionnelle et du Dialogue social a étendu à
nouveau les titres I, II et III de cette convention qui
avait, entre temps, été modifiée en ses deux premiers titres par un avenant du 8 octobre 2013 et
signée par de nouvelles organisations professionnelles d'employeurs. L'association des comédiens
intervenants audiovisuels (ACIA), notamment,

Les Cahiers soCiaux n° 295 - avriL 2017

demande l'annulation pour excès de pouvoir de
cet arrêté en tant qu'il étend le sous-titre  II du
Titre  III de la convention. L'article  4.1.2 du soustitre II du Titre III de la CCN de la production cinématographique prévoit que, pour les tournages en
décors naturels nécessitant cinquante acteurs de
complément ou plus, un temps d'émargement
pouvant aller jusqu'à trente minutes à partir de
l'heure de la convocation ne sera pas décompté
comme temps de travail effectif. Le Conseil d'État
relève qu'il ressort des stipulations de la convention que, pendant le temps d'émargement, qui est
la conséquence de l'organisation imposée par
l'employeur, les acteurs de complément sont à la
disposition de celui-ci et se conforment à ses
directives, sans pouvoir vaquer librement à des
occupations personnelles. Or, ajoute-t-il, il résulte
d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation que, dans une telle hypothèse, la période en
cause fait partie de la durée du travail effectif. Dès
lors, ainsi que le Conseil d'État l'avait déjà jugé
dans sa décision du 7 mai 2015 qu'il prend soin de
rappeler, il apparaît manifestement que le temps
d'émargement prévu par la convention doit être
inclus dans la durée du travail effectif. La contestation relative à la validité de la convention sur ce
premier point peut ainsi être accueillie par le
Conseil d'État, saisi de la légalité de l'arrêté prononçant l'extension de ces stipulations. Sur le
deuxième point, les juges du Palais Royal se
réfèrent également à une « jurisprudence établie
de la Cour de cassation  » selon laquelle une
convention collective ne peut prévoir de différences de traitement entre salariés relevant de la
même catégorie professionnelle et placés dans la
même situation au regard de l'avantage qu'elle
prévoit que si ces différences reposent sur des
raisons objectives dont le juge doit contrôler la
réalité et la pertinence. Or, l'annexe III.2 au soustitre  II du Titre  III de la convention collective litigieuse prévoit un barème de salaires minimaux
garantis aux acteurs de complément et un barème
d'indemnités applicable aux seuls « films se tournant à Paris et sa banlieue contenue dans un
rayon inférieur ou égal à 40 km autour de la ville
ainsi qu'à Marseille, Lyon, Bordeaux Nice, Lille,
Nantes et leurs banlieues respectives contenues
dans un rayon inférieur ou égal à 25  kilomètres
autour de ces villes ». Pour le Conseil, il ne ressort
pas des pièces du dossier que les acteurs de complément seraient placés dans une situation différente, au regard de la rémunération, selon le lieu
du tournage tel qu'il est défini par la convention
collective ni que la différence de traitement prévue reposerait sur des raisons objectives pertinentes. La contestation relative à la validité de la
convention sur ce point peut également être
accueillie. Le Conseil d'État reprend mot pour mot
sa décision du 7 mai 2015, à laquelle il se réfère, là
encore. La position de la Cour de cassation auraitelle été la même sur ces deux points litigieux ? Si
l'on peut, sans trop de risques, répondre par l'affirmative pour la question relative au temps
d'émargement, le doute est permis quant à la



Table des matières de la publication Revue - Les Cahiers sociaux n° 295 - Avril 2017

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