Revue - Gazette du Palais n° 5 - 6 février 2018 - 69

G a z e tte Sp é cia lisée
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CHANTIERS DE LA JUSTICE

Les chantiers de la justice Numérique, Procédure civile
et Réseau des juridictions : le rationnel est-il toujours
raisonnable ?
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L'essentiel

Les rapports Transformation Numérique, Amélioration et simplification de la procédure civile et Adaptation du
réseau des juridictions sont tellement imbriqués les uns aux autres et foisonnants de propositions qu'un
éclairage se révèle nécessaire afin de mieux les appréhender.
1. Le Code de procédure civile a déjà été quaSoraya AMRANI-MEKKI
lifié de « chantier permaProfesseure agrégée
nent » (Wiederkehr G.,
à l'université Paris
« L'accélération des proNanterre
cédures et les mesures
provisoires », RIDcomp. 1998, spéc. p. 449). L'équilibre du
Code, finement conçu par ses rédacteurs, est depuis de
nombreuses années largement éprouvé par la recherche
d'une nouvelle économie procédurale (Amrani-Mekki S.,
« L'économie procédurale », RIDP 2016-1, p. 2). L'encre à
peine séchée des décrets du 6 mai 2017, les pratiques à
peine ajustées aux nouveautés techniques (v. Les fiches pratiques des ateliers de procédure civile, Gaz. Pal. 31 oct. 2017,
n° 301k8, p. 75), et c'est l'ensemble qui est remis sur l'établi par les chantiers de la justice. Malgré ce mouvement
perpétuel qui peut donner le tournis, il s'offre peut-être
là l'occasion de repenser enfin le procès civil en son ensemble, en y intégrant les questions d'administration de la
justice et en le projetant dans un univers numérique.
par

2. Trois des cinq chantiers sur la justice retiendront particulièrement notre attention qui concernent le réseau
des juridictions (livret 4), la transformation numérique
(livret 1) et l'amélioration et la simplification de la procédure civile (livret 3).
Ces rapports doivent se lire en parallèle car ils ne sont pas
seulement complémentaires mais totalement imbriqués
les uns aux autres. Preuve en est, par exemple, que la
proposition de créer une juridiction nationale numérique
pour l'injonction de payer figure dans le rapport procédure
civile et non dans celui sur la transformation numérique
(livret 3, prop. n° 7). Surtout, il n'est pas possible de repenser le procès civil sans intégrer une réflexion relative
à l'administration des juridictions. La multiplication des
réformes imposant des délais toujours plus contraints et
sanctionnés lourdement est en décalage avec la réalité
de l'encombrement des juridictions qui, par manque de
moyens budgétaires et humains, ne peuvent faire face à
la demande de justice. Il en découle que l'accélération du
temps de l'instance disponible aux parties est impuissante
à réduire le temps de traitement administratif et juridictionnel de l'affaire. Au final, les réformes se succèdent
sans que des améliorations se vérifient. Le constat est
particulièrement visible en matière d'appel (v. AmraniMekki S., « Repenser l'appel, introduction générale », Gaz.
Pal. 31 oct. 2016, n° 279d6, p. 5). Il faut donc se féliciter
d'une réforme qui englobe dans un même mouvement

les réflexions sur la carte judiciaire, la modernisation des
processus par l'usage du numérique et des techniques
procédurales.
3. Les rapports formulent des propositions qui font échos
à de précédents travaux, qu'il s'agisse de la fusion des
tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance
(v. not. le rapport Casorla, Réflexions sur l'amélioration de
l'accès à la justice par la mise en place d'un guichet unique
de greffe et la simplification de juridictions de première instance, 1997) ou de la suppression de l'effet suspensif de
l'appel (livret 3, prop. n° 30. V. déjà le rapport Magendie,
Célérité et qualité de la justice, La documentation française,
2004). D'autres propositions poursuivent des évolutions
engagées mais non achevées comme les nouvelles déjudiciarisations préconisées (livret 3, annexe 1) ou l'extension
de la procédure participative de mise en état et des actes
contresignés par avocats (livret 3, prop. n° 19, v. AmraniMekki S., « La résolution amiable des différends comme
mesure de modernisation et de simplification de la procédure civile », Gaz. Pal. 25 juill. 2017, n° 299r2, p. 60).
Les rapports vont cependant beaucoup plus loin dans le
mouvement engagé en dessinant une autre justice qui
pourrait être rationnellement performante mais qui pose
inévitablement la question de la mise en équation de la
valeur justice : « Efficience versus équité » (Cadiet L., in
Mélanges Van Compernolle, 2004, p. 24).
4. L'appréciation de ces rapports est loin d'être évidente
à ce stade. Premièrement, parce que des rapports ne sont
pas des décrets et que sans leur traduction technique, il est
souvent difficile d'apprécier les propositions formulées.
Étendre la représentation obligatoire est un gage pour les
droits de la défense (livret 3, prop. n° 22 ; livret 1, p. 14)
mais sans précisions sur l'accompagnement budgétaire
de la mesure, il est difficile d'en juger. Deuxièmement, sur
bien des aspects, les rapports expriment des hésitations
et ouvrent des pistes de réflexions qui offrent des voies
bien plus managériales que les propositions ayant fait
l'objet de consensus. En sorte qu'à partir de ces rapports,
les décrets à venir, qui ne sont pas liés par les consensus
exprimés, peuvent trouver matière à dessiner une procédure bien différente. Enfin, et c'est là une conséquence de
ce qui précède, la lecture des rapports peut donner le sentiment qu'ils préparent une phase transitoire vers un autre
modèle judiciaire. Derrière les questions d'administration
et de procédure, c'est la conception même du procès civil,
de l'office du juge, des parties et de leurs conseils qui est
transformée. Ainsi, si la carte des juridictions n'est pas
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