Revue - Gazette du Palais n° 5 - 6 février 2018 - 73

G a z e tte Sp é cia lisée
do s s i e r
16. Rationalisation du traitement de la matière litigieuse. L'une des propositions phares consiste à figer par
le principe de concentration des moyens, imposé dès les
premières écritures, la matière litigieuse (livret 3, prop.
n° 13). Un tel principe renverserait la chronologie du
procès et le travail des acteurs du procès. Les avocats devraient travailler en amont de la saisine du juge, ce que la
phase de médiation préalable, éventuellement numérique,
accompagne. Naturellement, un tel principe est de nature
à repenser profondément l'office de la cour d'appel car
si les moyens sont figés, comment les prétentions pourraient-elles évoluer ? Les conditions d'une stricte voie de
réformation sont alors en place (livret 3, p. 8).
À partir du moment où les parties choisissent la voie
contentieuse, les exigences procédurales s'imposeraient
avec rigueur. Un principe de loyauté procédurale, déjà
proposé par le rapport Magendie de 2004 (livret 3, prop.
n° 26) devrait ici conduire les avocats à invoquer toutes les
pièces, même défavorables. La communication des pièces
doit non seulement être spontanée mais aussi complète,
ce qui suppose une stratégie de l'avocat en amont pour
décider de l'intérêt à formuler certaines prétentions. La
responsabilisation des parties dans le traitement du litige
est ici particulièrement nette.
Quant à l'office du juge, il évoluerait en conséquence du
temps libéré par les gains de productivité. La collégialité pourrait être renforcée (livret 3, prop. n° 26). Surtout,
dans une redéfinition de l'office des acteurs du procès, il
pourrait lui être imposé a minima l'obligation d'appliquer
d'office les règles de droit d'ordre public, sous réserve de
les lister formellement (livret 3, prop. n° 24). Dans une
préconisation plus ambitieuse, l'obligation serait généralisée à tous les moyens de pur droit. La proposition
est séduisante pour assurer l'accès au droit et l'égalité
des citoyens devant la justice. Il faudra cependant anticiper les problématiques liées à la spécificité des juges
consulaires ou prud'homaux. D'où l'on voit que repenser
la procédure ne peut se faire par la standardisation mais
ne tenant compte des spécificités tant contentieuses que
juridictionnelles.

17. Gestion des décisions. La démarche managériale
s'accompagne d'une démarche qualité (renforcement de
la procédure d'avis, de la mission d'appui du SDER). Le numérique peut ici apporter beaucoup, notamment par des
trames de décisions qui existent déjà dans les juridictions
sans être unifiées ni d'usage systématique (livret 1, p. 18).
Seraient fournis des « jugements types numériques par
référence aux jurisprudences affirmées » (livret 1, p. 19). Si
l'indépendance juridictionnelle est réaffirmée, elle ne doit
pas contrarier l'application unifiée d'une jurisprudence
connue et accessible par l'open data. La standardisation
des décisions permettra en outre d'améliorer l'accès aux
décisions et l'efficacité des algorithmes. La résistance à
la jurisprudence serait acceptable mais non l'indifférence
à son égard, ce qui supposerait à tout le moins que le juge
motive le fait qu'il s'en écarte. Sans le dire expressément,
c'est bien le précédent qui serait officiellement reconnu.
Il est également préconisé une procédure spécifique pour
les contentieux en série, ce qui est un gage de célérité
comme de qualité des décisions à rendre. Le rapport renvoie ici à des futurs travaux de la Cour de cassation mais
il est certain que la procédure administrative fournira, ici
comme ailleurs, un modèle à suivre. Il faut convenir que
la procédure administrative est souvent citée en modèle
même si elle ne gère ni les mêmes litiges, ni les mêmes
parties, avec des ressources bien distinctes.
18. La gestion de la réforme. Les chantiers sont tellement
riches de propositions qu'ils remettent en cause les fondations même de la justice. L'économie procédurale façonne
les procédures de manière tout à fait rationnelle. La valeur
justice quant à elle, qui ne peut être mise en équation, doit
être préservée. Sans une revalorisation des moyens de la
justice, du budget de l'aide juridictionnelle et une redistribution des ressources, les meilleures préconisations des
trois rapports, qui partent de la saine volonté de rationnaliser une justice aux abois, risquent de produire une gestion
standardisée, mécanisée et partant déraisonnable. De
nombreuses précautions accompagnent heureusement
les propositions mais reste à savoir si elles constitueront
des garanties effectives. La vigilance est de mise car non,
le rationnel n'est pas toujours raisonnable.
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