Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 11

Actes de colloque

parfois large (comme c'est le cas sous l'empire du règlement Rome III) et parfois très étroite  - comme dans le
règlement successions, qui ne permet que le seul choix
en faveur de la loi de la nationalité du défunt.
La troisième limite apparaît lorsque l'on examine non
pas une question isolée, mais l'ensemble des questions
qui peuvent surgir dans une famille. On constate alors
qu'il peut être difficile de coordonner les lois choisies. Un
exemple permet d'illustrer ce constat : soit un couple de
ressortissants russes qui vit en France. Ils peuvent choisir la loi française pour leur divorce, pour les questions
alimentaires, ils peuvent soumettre leurs relations patrimoniales au droit russe, mais ils ne peuvent pas choisir la
loi russe pour régir leur succession.
Une autre limite, plus évanescente, tient à la menace de
l'ordre public qui pèse sur la mise en œuvre de la loi choisie - si deux ressortissants français qui vivent en Grèce
choisissent la loi française et souhaitent se prévaloir du
nouveau divorce par consentement mutuel, déjudiciarisé,
la question de l'ordre public se posera dans un État qui
réserve le monopole de la dissolution du lien conjugal aux
tribunaux.
Enfin, il ne faut pas se cacher qu'il y a une incertitude sur
le respect des clauses de choix de loi devant les juges
non liés par l'instrument - soit qu'il s'agisse du juge d'un
État membre, mais non lié par le texte (ex. : Rome III et la
Pologne), soit d'un État tiers - que va penser le juge d'un
État américain du choix de loi en matière de divorce permis par le règlement Rome III ?

B. Le sur-mesure

Marie-Laure Niboyet
Les conventions prénuptiales internationales. Je voudrais ici insister sur une catégorie de conventions
sur-mesure particulièrement inventive : les contrats prénuptiaux internationaux. Ces conventions que l'on peut
qualifier de réellement internationales sont des créations
de la pratique, de certains notaires et avocats, qui visent
à surmonter les difficultés de coordination des systèmes
juridiques nationaux en matière de régimes matrimoniaux,
spécialement dans les relations entre un système de droit
civil (comme le droit français) et un système de common
law (comme le droit britannique).
Leur objet  est réglé non seulement le statut des biens
des époux pendant le mariage et à sa dissolution (objet
des contrats de mariage classiques) mais également les
conséquences pécuniaires d'un éventuel divorce. Et ce, au
moment où les époux décident de se marier (souvent à
l'occasion d'un remariage).
Le défi est de faire en sorte que ces conventions, qui ne
correspondent à aucun des deux modèles nationaux (français et britannique) avec lesquels les époux présentent
des attaches réelles, soient pourtant efficaces dans chacun d'eux.
Côté français, un tel contrat pourrait s'exposer à la nullité
des stipulations relatives aux conséquences financières
du divorce puisque, aujourd'hui, l'évaluation anticipée de
la prestation compensatoire y est impossible. Côté britannique maintenant, c'est exactement l'inverse. Si vous
présentez à un juge britannique une convention prénuptiale qui n'envisagerait pas une éventuelle situation de
besoin dans laquelle se trouverait l'un des ex-époux en

cas de divorce et qui ne proposerait pas une compensation
équitable de cette disparité, cette convention n'aurait pas
de force obligatoire puisque le juge anglais dispose d'un
pouvoir discrétionnaire de procéder à la redistribution
équitable des biens des époux.
Quel est le moyen de surmonter ce dilemme ? La pratique
a envisagé de façonner ce qu'on pourrait appeler des « hybrides », c'est-à-dire des conventions qui réunissent des
conditions de validité essentielles dans chacun des systèmes juridiques, aussi bien sous l'angle de la forme que
sous l'angle du fond. Sans entrer dans les détails, il s'agit
toujours de procéder à un enrichissement du contrat français par l'insertion de concepts qui sont indispensables en
common law à la sécurisation du contrat. Il faut donc la
présence aux côtés du notaire d'un avocat distinct pour
chacun des époux, des déclarations très détaillées sur
leur patrimoine respectif, un délai de réflexion entre le
contrat et le mariage, des traductions de tous les documents dans les langues usitées par les époux et veiller
enfin au caractère équitable de l'ensemble de l'accord.
On trouve exactement la même démarche que le phénomène de création spontanée de droit observé dans les
années 60 dans le domaine du commerce international.
Pour les besoins spécifiques du commerce international,
dans un certain nombre de filières, comme les filières de
l'énergie, des transports, des télécommunications, les
praticiens se sont trouvés confrontés à l'insuffisance des
mécanismes juridiques nationaux qui n'étaient pas adaptés aux difficultés internationales liées aux évolutions
technologiques. Ils ont procédé à des montages contractuels qui ont donné lieu, par la suite, à la consécration de
règles nouvelles de droit international privé, des règles
matérielles, plus libérales que les règles applicables aux
échanges internes. Ces conventions ont même engendré des usages lesquels, par leur pratique répétée et le
consensus recueilli au sein des milieux professionnels
concernés, ont contribué à la formation d'un droit souple,
qu'on a désigné sous le terme de « lex mercatoria ».
Il me semble que le moment est venu de franchir le
même saut théorique en droit international de la famille
et d'admettre que les outils du droit national ne sont pas
adaptés à certaines situations familiales internationales
et, notamment, qu'il conviendrait d'élaborer une règle matérielle de droit international privé autorisant, avant tout
divorce, dans les situations internationales, une évaluation
forfaitaire et anticipée des conséquences pécuniaires de
l'éventuelle séparation des époux.
La liberté conférée aux parties serait encore plus grande
si elles pouvaient avoir recours à l'arbitrage,
L'arbitrage et le droit de la famille. C'est un sujet très
sensible qui s'inscrit parfaitement dans la promotion
actuelle de l'idée selon laquelle il appartient aux parties
de participer au règlement de leur litige. Mais l'arbitrage
est encore plus attractif en raison de sa double dimension contractuelle et juridictionnelle. Avec l'arbitrage, on
a en effet l'assurance d'avoir un juge en cas de désaccord
persistant.
De plus, un frein sérieux à l'épanouissement de l'arbitrage
en droit de la famille a sauté avec la nouvelle rédaction de
l'article 2061 du Code Civil qui autorise depuis la loi J21,
l'insertion d'une clause compromissoire entre deux particuliers. Mais se pose encore la question essentielle de
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