Revue - Gazette du Palais n° hors-série 1 - 24 avril 2018 - 16

Actes de colloque

Mais la situation la plus courante, aujourd'hui, en France,
est celle dans laquelle les parties ne disent rien des éléments d'extranéité.
Ce silence peut d'abord être le résultat d'une stratégie.
Par exemple, en matière d'aliments, la partie demanderesse peut spéculer sur l'acceptation tacite, par son
adversaire, de la compétence d'un juge normalement
incompétent ; le règlement le prévoit.
En matière de responsabilité parentale, la compétence du
juge est en principe liée au lieu de la résidence habituelle
de l'enfant ; mais si le défendeur ne discute pas la compétence du juge alors que l'enfant se trouve dans un autre
État, le demandeur pourra tenter de faire observer au
juge subtilement qu'en concluant au fond, son adversaire
a expressément accepté cette compétence, ce qu'impose
le règlement.
Ce ne sont que des paris, sur l'issue aléatoire desquels il
faut avoir averti le client.
Mais trop souvent, aujourd'hui, le juge aux affaires familiales est confronté à des dossiers dans lesquels les
parties ne tirent aucune conséquence des éléments
d'internationalité de leur situation, sans que ce silence
procède d'une stratégie.
Pourtant, les éléments d'extranéité pertinents, qui suffisent à raisonner 90 % des demandes portées devant le
juge conciliateur, se résument à deux items seulement : la
ou les nationalités de chacune des parties et le lieu actuel
de leur résidence habituelle.
On ne peut que saluer la pratique des ressorts dans lesquels ces éléments sont systématiquement signalés par
les greffes, ou font l'objet d'une mini-fiche convenue entre
le barreau et le tribunal.
Faute d'argumentation sur les éléments d'internationalité,
le juge est d'abord tenu, avec toute la force du droit européen, de vérifier d'office sa compétence internationale
pour connaître de l'instance en divorce, qui s'apprécie à
la date de la requête.
Aucune règle de droit interne ne peut l'en dispenser,
même au stade de la conciliation. Et s'il n'est pas compétent internationalement, le juge conciliateur ne peut
statuer sur aucune des mesures provisoires, sauf à
constater une improbable urgence. S'il est compétent au
regard du règlement Bruxelles II bis, il appliquera les instruments internationaux qui conviennent pour déterminer
sa compétence et la loi applicable sur chacune des questions qui lui sont soumises, notamment pour statuer sur la
responsabilité parentale. Le tout dans la limite, classique,
des pouvoirs que lui confèrent la loi du for, et plus précisément l'article 255 du Code civil. C'est l'unique sens de
l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 mai 2015.
Ces vérifications mettent les conseils dans l'embarras et
occasionnent, au stade du divorce, bien des réouvertures
des débats. C'est prodigieusement agaçant pour eux.
Mais le vrai sinistre survient lorsque le juge ne procède
d'office à aucun raisonnement en droit international privé.
D'abord, parce que les éléments d'internationalité sont
généralement évidents, donc dans le débat, de sorte que
le moyen tiré de la règle de conflit est recevable pour la
première fois devant la Cour de cassation même s'il n'a

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pas été présenté aux juges du fond. Au cours de la seule
année 2017, plusieurs arrêts de censure en ont témoigné.
Les erreurs initiales ne sont pas toujours rattrapables :
on ne voit pas bien qu'il soit possible d'assigner pour la
première fois en divorce devant une cour d'appel selon la
loi désignée par la règle de conflit, ou de modifier le lieu
de la résidence habituelle des uns et des autres au jour de
la requête, plusieurs années en arrière.
Enfin, même en l'absence de pourvoi, le danger généré
par une décision qui passe sous silence les éléments
d'extranéité est celui de son absence de reconnaissance
à l'étranger, là où pourtant on aimerait qu'elle produise
ses effets.
Il faut se mettre à la place du juge de l'exequatur étranger : il lui est difficile de reconstituer la démarche suivie
par le juge français pour retenir sa compétence si elle
n'est pas explicite.
Un petit mot, enfin, sur la situation dans laquelle un jugement de divorce a été rendu à l'étranger alors qu'une
procédure de divorce était pendante en France.
On ne peut divorcer que des gens qui sont encore mariés.
C'est une question de qualité pour agir que le juge est
tenu de vérifier d'office. La seule question est de savoir si
le jugement de divorce étranger peut produire ses effets
en France, ce qui oblige le juge à contrôler sa régularité
internationale, au besoin d'office.

B. Quelques notions fondamentales
Patrick Wautelet

Le contentieux de la circulation est un contentieux important en pratique - il ne suffit évidemment pas de gagner un
procès en France, encore faut-il que la décision puisse recevoir effet dans d'autres États. C'est aussi un contentieux
complexe parce que s'y entrecroisent de très nombreux
instruments.
Un des éléments qui rend ce pan du droit international
privé complexe, c'est l'existence de plusieurs notions fondatrices qui peuvent prêter à confusion.
Aussi ne semble-t-il pas inutile de procéder à un bref rappel des notions de base, en partant du résultat à atteindre,
à savoir des effets que l'on peut souhaiter faire produire à
une décision ou un acte étranger.
S'agissant d'une décision judiciaire, le premier effet que
l'on peut souhaiter invoquer, c'est bien entendu l'autorité
de chose jugée : voilà une personne divorcée en Belgique,
peut-elle se remarier en France. En d'autres termes,
l'autorité de chose jugée de ce que le juge belge a fait,
s'impose-t-elle en France ? Cette circulation ou cet accueil
de l'autorité de chose jugée est désigné sous le terme de
« reconnaissance », qui peut être trompeur parce qu'il est
polysémique.
Quel est le régime aujourd'hui de la reconnaissance ? C'est
un régime très libéral dans tous les textes européens qui
ont consacré une reconnaissance de plein droit - c'est-àdire qu'il ne faut pas passer par un stade intermédiaire,
une vérification de la régularité de la décision par un juge.
Le processus de réception est plus souple, le jugement
peut être invoqué directement, mais, revers de la souplesse, chaque autorité nationale procédera au contrôle
des conditions.



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