Revue - Gazette du Palais n° hors-série - 18 mai 2018 - 33

Actes de colloque

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NÉGOCIER DANS L'ENTREPRISE

La négociation dans les relations sociétaires

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L'essentiel

Sous l'effet conjugué de facteurs économiques et sociaux, la négociation dans les relations sociétaires
connaît des évolutions importantes. Et de fait, le développement significatif de ce phénomène traduit, sans
nul doute, un désir de liberté des opérateurs économiques. Pour autant, cette volonté d'échapper, au nom
d'une certaine idée de l'efficacité, à des carcans légaux ou réglementaires jugés trop contraignants, ne
saurait conduire à saper les fondements mêmes du droit français des sociétés, sous peine de le projeter
dans un état d'insécurité juridique majeure.
1. La négociation peut-elle
tout dans les relations sociéJean-Jacques
taires ? Telle est la question
ANSAULT
à laquelle cette intervention
Agrégé des facultés
va tenter de répondre, et
de droit, professeur à
ce dans la droite ligne des
l'université de Rouen,
réflexions menées jusqu'ici
CUREJ, EA4703
sur la thématique qui occupe
nos travaux. Encore faut-il définir précisément le champ
de l'investigation. Si la « négociation » renvoie, dans notre
contexte, à un moyen d'action et, plus précisément, à un
processus qui vise à parvenir à un accord ou à aplanir des
différends, la référence aux relations sociétaires comporte
une ambiguïté qu'il convient de lever. En effet, il ne s'agit
pas d'envisager la sphère et les effets de la négociation
dans les relations que la structure sociale entretiendrait
avec les tiers à l'occasion de son activité économique. Une
telle analyse de la manière que les structures sociales ont
de faire du commerce, très intéressante en soi, concerne
essentiellement d'autres questionnements et notamment
la place de la négociation dans le droit des contrats d'affaires (1). Moins que l'usage de la négociation dans « l'ordre
externe », c'est principalement le domaine et les finalités
de celle-ci dans « l'ordre interne » qui seront envisagés
ici. Pour autant, si l'on adopte une vision plus prospective
sur la négociation dans l'entreprise, il apparaît que ces
deux ordres pourraient être davantage associés dans la
fabrication même de la décision sociale.

crédit, de fournisseurs, de clients ou autrement, au développement de l'entreprise » (2). Sans doute cette référence
nouvelle aux « tiers prenant part » n'appelle pas dans l'esprit des rédacteurs à une intrusion massive de ces sujets
de droit dans le fonctionnement de la société. Toutefois, le
regard porté sur leurs intérêts dans la détermination de la
stratégie économique de l'entreprise militerait en faveur
d'un accroissement potentiel du champ de la négociation,
laquelle s'exprimerait plus volontiers entre la société et
ces différentes parties prenantes.

2. Des travaux récents tels le rapport Notat-Senart proposent notamment de compléter l'article 1833 du Code
civil selon lequel une société est « constituée dans l'intérêt
commun des associés » par la formule suivante « la société
doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les
enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Un
autre rapport envisage, entre autres options, une réécriture de ce texte qui disposerait : « Toute société doit avoir
un projet d'entreprise licite et être gérée dans l'intérêt
commun des associés en considération des intérêts des
tiers prenant part, en qualité de salariés, de donneurs de

4. Plus positivement, et sans appréhender la négociation dans les relations sociétaires par le seul prisme du
contentieux, notamment par celui des conflits extrêmement sensibles qui se développent aujourd'hui quant à la
fixation du prix de rachat des titres d'un associé en cas de
défaut d'agrément ou à l'occasion de la mise en œuvre
d'une procédure d'exclusion, voire de retrait, il semble que
l'usage de ce moyen d'action intervienne sur deux plans
différents qui en modèlent les contours. Au fond, l'appréhension de la négociation dans les relations sociétaires est
en grande partie tributaire de l'idée que l'on se fait de la

Par

NDA : Le style oral de l'intervention a été conservé.
(1) V. not. sur cette question, Les incidences de la réforme du droit des contrats sur
les contrats d'affaires, Mortier R. (dir.), 2018, Dalloz. Adde, Prieto C., La société
contractante, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1994 ; Prieur J., « Droit des
contrats et droit des sociétés », in Mélanges A. Sayag, 1997, Litec, p. 371.

3. Il n'en demeure pas moins qu'en l'état du droit positif,
la négociation dans l'ordre interne de la société présente
des spécificités qui méritent d'être mises en exergue. En
effet, le plus souvent, elle intervient dans un contexte où
la décision collective finalement prise relève de la règle
majoritaire et non de l'unanimité (3). Par-là, le droit des
sociétés entend éviter, autant que faire se peut, les situations de blocage. Mais l'efficacité et l'effectivité de la
décision en cause commandent que la négociation préalable entre les différents acteurs ne soit pas escamotée.
Dans ce sens, il n'y a rien de surprenant à ce que les
clauses de conciliation et de médiation se développent
de manière significative pour permettre de sortir par le
haut des conflits sociétaires (4). Sous peine d'irrecevabilité
de l'action en justice servant de vecteur à la contestation,
ces clauses particulièrement adaptées à la résolution de
tels différends contraignent ainsi les parties à reprendre
la négociation.

(2) V. le rapport du club des juristes, « Le rôle sociétal de l'entreprise, éléments de
réflexion pour une réforme », avr. 2018, spéc. p. 101.
(3) V. not. sur la notion d'acte collectif, Rép. civ. Dalloz, « V° Acte juridique »,
Brenner C., spéc. n° 176.
(4) V. not. sur cette question, Tap J.-B., « Les clauses de conciliation et de médiation
face aux conflits sociétaires », Rev. sociétés 2017, p. 617.
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