Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit de l'environnement 2017-2018 - 1re - 93

CHAPITRE 4 - La responsabilité environnementale et le préjudice écologique

1 CE, 12 juill. 1969, Ville de St Quentin
« Qu'il résulte des analyses effectuées à partir d'échantillons d'eau prélevé systématiquement dans la Somme en amont
de Saint Quentin... que les eaux de la Somme, pures en amont de St Quentin deviennent toxiques au point de déversement des égouts et que la pollution constatée dans la Somme se transmet aux canaux de la Somme et de St Quentin
qu'elle alimente ; qu'ainsi le lien de cause à effet entre la pollution et le déversement des égouts de St Quentin est
établi... ».

■ Faits
Plusieurs associations de pêche et fédérations des associations de pêche de l'Aisne et de la Somme ont présenté une
requête devant le tribunal administratif de Chalons-sur-Marne afin de déclarer responsable la Ville de Saint-Quentin
des faits de pollution des eaux de la Somme ainsi que du préjudice de perte de richesse biologique. Le Tribunal a
déclaré la ville responsable de la pollution mais pas de la perte de richesse biologique et a demandé une expertise aux
fins d'évaluation de l'étendue du préjudice. La Ville de Saint-Quentin a déposé une requête devant le Conseil d'État
afin que leur responsabilité pour pollution des eaux soit atténuée du fait des effluents industriels provenant des usines
situées dans le voisinage. Le Conseil d'État, statuant au contentieux, rejette la requête. Les fédérations d'associations
des pêcheurs déposent également une requête devant le Conseil d'État afin d'annuler partiellement le jugement
rendu par le tribunal administratif en ce qu'il ne considérait responsable la Ville de Saint-Quentin que sur une partie
du préjudice invoqué.

■ Portée
Le Conseil d'État estime que les fédérations départementales des associations de pêche peuvent obtenir réparation des
frais d'alevinage et de ré-alevinage des cours d'eau pollués, à l'exclusion des dommages consistant dans « la perte de
richesse biologique » des eaux qui ne peuvent par eux-mêmes ouvrir droit à réparation. Le Conseil considère ici que le
préjudice n'est pas établi ou qu'il est purement éventuel. On voit à cette époque, huit années avant la première loi sur
la protection de la nature (Loi no 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature), qu'il n'y a pas de
reconnaissance complète du préjudice environnemental. Cependant, le Conseil estime que la perte d'adhérents, consécutive à la pollution des eaux de la rivière, constitue pour une association de pêcheurs, un préjudice indemnisable, ce
qui annonce bien la reconnaissance par la jurisprudence de ce qui deviendra ensuite une reconnaissance assez généralisée de préjudice moral des associations en matière environnementale.
Un autre élément intéressant dans cette affaire est le fait que pour déclarer la ville de Saint-Quentin responsable des
dommages causés par la pollution des eaux de la Somme et de celles des canaux alimentés par cette rivière, le Tribunal
administratif se soit fondé sur le risque créé par le fonctionnement des égouts de la ville. De ce fait, le moyen tiré de
ce que le maire de ladite ville n'aurait commis aucune faute en n'usant pas de ses pouvoirs de police pour faire cesser
le déversement dans les égouts d'effluents toxiques en provenance d'établissements situés sur le territoire de la ville a
été considéré inopérant. On voit bien que le lien de cause à effet entre le déversement des égouts de Saint-Quentin
dans la rivière de la Somme et la pollution des eaux de cette rivière a bien été établi. Il s'agit sans doute ici d'un arrêt
très novateur et remarquable car, bien avant l'heure et, en absence d'un texte spécifique pour la protection renforcée
de la nature, le Conseil d'Etat a bien établi la reconnaissance d'un préjudice et la présence d'un dommage avéré à
l'environnement.

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