Droit et Société - Les audiences à distance - 1re - 14

LES AUDIENCES A DISTANCE

De prime abord, la visioconférence apparaît comme une technologie instrumentale, un nouvel outil qui équipe une activité dont les objectifs restent inchangés. D'autres innovations l'ont précédée dans le prétoire : sonorisation des
salles d'audience et utilisation des micros pour les prises de parole, substitution
du dactylographe 15 puis de l'outil informatique au stylo et à la prise de note
manuelle pour la rédaction des procès-verbaux, constitution de dossiers photographiques pour restituer une scène de crime, sans parler des modes de preuve
qui eux-mêmes ont considérablement évolué. Pour être instrumentales, ces innovations n'en sont pas moins créatrices d'effets sur le sens des activités accomplies. De la même manière, remplacer la comparution d'une personne en
chair et en os par une comparution par visioconférence est susceptible
d'emporter des effets sur l'activité elle-même, en l'occurrence sur ce que comparaître en audience veut dire et par ricochet, sur ce que tenir audience veut
dire. À cet égard, il semble bien que la visioconférence constitue une transformation majeure du procès 16.
L'audience publique peut être décrite comme l'un des points névralgiques
les plus sensibles, les plus symboliques de la justice 17. Cette dernière incarne
tout à la fois un principe juridique fondamental, une pratique professionnelle
qui structure les savoir-faire et les représentations des différents acteurs de justice (avocats, magistrats, greffiers, experts...), une mise en scène publique du
processus judiciaire et un lieu privilégié d'expression du monopole de la violence légitime. Traditionnellement, l'audience procède d'une cérémonie publique fondée sur la coprésence des parties. Présent en matière civile, le rituel
judiciaire est plus fondamental encore en matière pénale, lorsque ministère public, accusés, victimes, juges et public sont réunis dans ce seul et même espace
qu'est la salle d'audience. Nous entendons ici la notion de rituel comme « un
ensemble d'actions insérées dans un contexte spécifique ludico-fictionnel, dont
le déroulement et la perception cognitive et/ou émotionnelle se font selon
quatre formes non exclusives (cérémonie, compétition, fête et spectacle) » 18.

15. Voir par exemple le travail de Delphine Gardey dans le contexte des assemblées parlementaires : «"Enregistrer" et rendre les débats publics en Grande-Bretagne et en France. La sténographie comme exigence et révélateur de la démocratie parlementaire ? », dans Claire de
GALEMBERT, Olivier ROZENBERG et Cécile VIGOUR (éd.), Faire parler le Parlement, Analyse
des débats parlementaires, LGDJ, Paris, 2014, p. 73-89.
16. Nous rejoignons sur ce point l'analyse de Jean Danet qui considère que la visioconférence
représente pour la justice une innovation à peu près aussi importante que celle qui a consisté à
transformer la prison d'un lieu de détention provisoire à un mode de sanction pénale en soi, au
XIXe siècle : voir Jean DANET, « Vers une nouvelle oralité ? Entretien avec Jean Danet », Les
cahiers de la justice, 2, 2011, p. 73-83. Reste à savoir quel développement ou quel reflux connaîtra la visioconférence, à quel étiage elle se stabilisera dans les différents types de juridictions, sous quelles formes, avec quels aménagements et arrangements...
17. Antoine GARAPON, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Odile Jacob, Paris, 2001.
18. Albert PIETTE, « Pour une anthropologie comparée des rituels contemporains. Rencontre avec
des "batesoniens" », Terrain, 29, 1997, p. 139-150, [En ligne], 29 septembre 1997, mis en
ligne le 21 mai 2007, consulté le 19 juillet 2016. URL : .

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 57, 2017

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