Droit et Société - Les audiences à distance - 1re - 46

LES AUDIENCES A DISTANCE

vaincre son sous-directeur, son chef de bureau... [...] Attention, on prenait
énormément de précaution, la solution visioconférence, c'était l'exception,
c'était quand on ne pouvait pas faire autrement. Tout le projet a été bâti pour
trouver une solution aux cas exceptionnels. [...] J'ai réuni de la documentation
sur les liaisons aériennes, sur les conditions météo, et il était acquis que dans
certaines situations, l'hiver, il fallait plus d'une semaine pour faire l'aller et retour. [...] Donc des aspects très matériels qui montraient qu'on ne pouvait pas
envoyer d'urgence, toujours, dans les délais utiles, un magistrat. [...] Donc il
fallait démontrer que Saint-Pierre, ça ne ressemblait à rien d'autre, qu'en fait ce
qu'on proposait c'était uniquement pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Pratiquement, il y a un discours qui a commencé à se construire là-dessus pour faire
passer la pilule. [Question : Mais [c'est un discours] qui a commencé à se
construire dès le début ? Oui. Question : Ou qui s'est ajusté après le Conseil
d'État ?] Oui, moi, personnellement, je l'ai déjà un peu testé, en interne, parce
que ce n'était pas non plus évident. Au dernier échelon, il fallait convaincre le
cabinet. » 13
Toujours selon ce magistrat, l'idée d'utiliser la visioconférence pour réaliser
des audiences est alors une idée qui est complètement exotique en France, mais
toutefois dans l'air du temps. Il existe en effet des précédents européens comme
les procès anti-mafia en Italie au début des années 1990 14 et nord-américains 15,
dont nous avons vu qu'il les évoque en tant que ressources de justification auprès de sa hiérarchie.
De sorte qu'il devient possible à la fin des années 1990 d'évoquer le fait de
tenir des audiences à distance auprès de la Chancellerie sans que cela paraisse
une « grossièreté » (selon un autre magistrat), mais sans s'attendre non plus à
intéresser grand monde. Les nouvelles technologies d'information et de communication sont vues comme un secteur innovant mais trop rapidement évolutif
pour être vraiment envisagé au niveau de la production judiciaire. Les audiences à distance et la visioconférence ne sont susceptibles que d'une traduction, de type économique, qui n'est toutefois pas non plus complètement évidente à l'époque.
Le sujet recueille en effet la bienveillance de la Direction des affaires générales et de l'équipement (DAGE) du ministère, qui quantifie les incidences financières du projet, en coûts d'installation et d'utilisation, et y voit l'occasion
de faire des économies substantielles. C'est également pour des raisons similaires et essentiellement logistiques que les deux juridictions intéressées à
l'administration de la justice à Saint-Pierre soutiennent l'idée de la visioconférence.
Toutefois l'association entre visioconférence et économies de moyens n'est
pas unanime. Lors des consultations internes à la Chancellerie, le sous-directeur
13. Entretien avec un magistrat qui a été rédacteur au bureau AB1 de la DSJ de 1996 à 1998, et qui
a rédigé l'ordonnance de 1998 et le décret de 2001, Paris, 14 juin 2006.
14. Giovan Francesco LANZARA et Gerardo PATRIOTTA, op.cit.
15. Ray SURETTE, op.cit.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 57, 2017

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