Droit et Société - Les audiences à distance - 1re - 47

ENTRE EXCEPTION ET EXPERIMENTATION

du droit pénal général et international estime ainsi que la visioconférence sera
génératrice de dépenses excessives : « Cette solution pose des problèmes de
coût non négligeables ainsi qu'en témoigne l'expérience d'audition de témoin à
distance dans l'affaire [X] devant le tribunal pénal international pour l'exYougoslavie »16. Si la performance économique du système est évoquée pour
justifier l'intérêt du dispositif, elle n'est donc pas primordiale. D'autres arguments sont également en jeu, comme l'urgence de trouver une solution mais
aussi l'enjeu de modernisation de la justice et de son ouverture aux nouvelles
technologies.
Dans tous les cas, ce que découvrent petit à petit les acteurs du bureau AB1
c'est que même s'ils présentent l'usage de la visioconférence comme une innovation modérée, et même s'ils ne revendiquent pas personnellement et publiquement la responsabilité de cette innovation, ils doivent quand même assumer
le travail de l'innovateur, tel que l'a décrit la sociologie de l'acteur-réseau. Pour
faire prendre la visioconférence, pour la faire exister, il faut parvenir à faire tenir ensemble un réseau hétérogène 17 c'est-à-dire des entités humaines et non
humaines, des idées, des habitudes, des compétences, des matériels et des objets sans que les associations créées ne se désagrègent.
Leur problème ne relève pas de l'innovation technologique, puisque les
technologies de visioconférence existent déjà et constituent pour eux un moyen
et non une fin. Il est plutôt organisationnel, puisque la finalité de leur activité
est de trouver une solution pratique et de la rendre praticable en mettant en
place des textes permettant de tenir légitimement de nouvelles formes
d'audience, dans laquelle l'activité de production judiciaire est équipée par la
technologie et susceptible de se redistribuer spatialement autour d'elle. Innovation organisationnelle plutôt que technique, mais il faut néanmoins associer,
intéresser, traduire, à un niveau qu'ils ne soupçonnaient pas à l'avance. Évoquant la visioconférence, le rédacteur du décret au bureau AB1 résume ce travail
d'innovation en notant que « c'est effrayant de voir à quel point on balbutie,
dès qu'on met en place quelque chose, parce qu'il y a énormément de procédures administratives, budgétaires, plus des scrupules procéduraux, des interlocuteurs à entendre qui ont leurs voix à donner, comme les avocats, et tout ça, ça
crée autant de freins » 18. Il faut en effet que soit accompli un travail
d'innovation dont l'ampleur paraît, du point de vue de la DSJ, presque disproportionnée par rapport au problème traité (une question d'organisation judiciaire dans un archipel aussi lointain que minuscule). Le chef de bureau le re16. Réponse du 30 janvier 1997 de la sous-direction du droit pénal général et international, DACG,
à la consultation par le bureau AB1, DSJ, sur un avant-projet au projet de loi portant sur la collectivité locale de SPM, archives DSJ, bureau AB1.
17. Michel CALLON, « Society in the Making: The Study of Technology as a Tool for Sociological Analysis », dans Wiebe BIJKER, Thomas HUGHES et Trevor PINCH (éd.), The Social Construction of Technological Systems, MIT Press, Cambridge, 1987, p. 83-103 ; John LAW, « On
the social explanation of technical change. The Case of Portuguese Maritime Expansion »,
Technology and Culture, 28, 1987, p. 227-252.
18. Entretien avec le magistrat du bureau AB1 de la DSJ, 14 juin 2006.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 57, 2017

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