Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 105)

LES RÈGLES GÉNÉRALES, DES RÈGLES CATÉGORIELLES 87 Mayer254. Il s’agit de normes qui ne sont en effet pas générales parce qu’elles visent un ensemble fermé de personnes : elles concernent des personnes dénombrables qui remplissent actuellement telle ou telle condition le jour de leur entrée en vigueur (par exemple, la loi vise ceux qui sont actuellement entrepreneurs de presse, ou gérants de SARL ou parents d’un enfant mineur non émancipé, etc.). En même temps, la consistance de cet ensemble de personnes n’est pas définitivement déterminée, elle reste susceptible de variations dans la mesure où, ainsi que l’explique Pierre Fleury-Le Gros, ces personnes ne sont que les destinataires de la norme sans en être déjà les bénéficiaires : « Ils remplissent seulement une partie des conditions au jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Ainsi, il suffira qu’ils remplissent la condition non encore remplie pour devenir bénéficiaires »255. 264. L’auteur donne l’exemple d’une loi qui accorde aux personnes ayant actuellement la qualité d’entrepreneur de transport routier la possibilité de déroger à la règle des 35 heures à la condition d’employer au moins dix salariés. Certains destinataires de la loi sont déjà bénéficiaires, ceux qui remplissent l’intégralité des conditions : ils sont entrepreneurs de transports routiers et emploient au moins dix salariés. D’autres sont destinataires sans être bénéficiaires : il s’agit des entrepreneurs qui ne remplissent pas encore la deuxième condition. Les entrepreneurs qui emploient au moins dix salariés peuvent cesser de remplir cette condition, et donc cesser d’être bénéficiaires, puis remplir à nouveau cette condition, et, de la sorte, redevenir bénéficiaires256. En dépit de l’indétermination partielle de son champ d’application, une telle loi n’est pas porteuse d’une règle générale dans le sens où tous ses destinataires potentiels sont identifiés ou identifiables au moment de son adoption. Lorsqu’une loi nouvelle régit à la fois les situations en cours et les situations futures, il y a défaut d’impersonnalité partiel du champ d’application de la norme. Celle-ci a un champ d’application à la fois personnel (en ce que la loi aurait pour objet de régir la situation de personnes déterminées qui rempliraient aujourd’hui telle caractéristique) et impersonnel (en ce que la loi régit la situation de personnes dont le législateur ignore l’identité). Tel est le cas de la loi Hersant du 23 octobre 1984, qui, afin d’assurer le pluralisme des entreprises de presse, avait vocation à s’appliquer à toute entreprise de presse, quelle qu’elle soit, dès lors que ses parts de marché répondaient aux critères retenus par la règle. Cette loi avait bien sûr vocation à s’appliquer à toutes les personnes qui, un jour, posséderaient ou contrôleraient un ou plusieurs quotidiens mais elle avait aussi vocation à s’appliquer à toutes les personnes qui, dès son entrée en vigueur, étaient déjà propriétaires d’une entreprise de presse, et en particulier le groupe Hersant257. S’il est vrai que la volonté cachée du législateur de démanteler le groupe Hersant était politiquement ou moralement critiquable, il n’en demeure pas moins qu’une telle loi est porteuse d’une règle générale258. Si une norme régit une catégorie de personnes dont certaines remplissent déjà les conditions et d’autres non, il s’agit d’une catégorie, ouverte à d’autres êtres 254. P. FLEURY-LE GROS, Contribution à l’analyse normative des conflits de lois dans le temps en droit privé interne, op. cit., ici p. 189-214. 255. Ibid., p. 211. 256. Ibid., p. 211. 257. P. FLEURY-LE GROS, Contribution à l’analyse normative des conflits de lois dans le temps en droit privé interne, op. cit., ici p. 226. 258. Supra, section 1, § 2, A, 2.

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