Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 123)

LA DISTINCTION DE LA GÉNÉRALITÉ PERSONNELLE ET DE LA GÉNÉRALITÉ MATÉRIELLE 105 318. La distinction du sujet et de l’objet des normes est essentielle pour une classification des règles juridiques en fonction de la généralité de leur champ d’application. En effet, les règles peuvent être à la fois personnellement et matériellement générales – ainsi en est-il d’une norme selon laquelle les contribuables français doivent payer l’impôt chaque année, ou celle selon laquelle il est interdit aux mineurs de circuler la nuit dans les rues. À l’opposé, les règles juridiques peuvent être à la fois personnellement et matériellement non générales : c’est le cas d’une norme qui inflige une sanction à un individu déterminé ou de celle qui autorise quelqu’un à construire une maison à tel endroit et en respectant telles conditions. 319. Mais il existe aussi des règles matériellement générales, qui ne le sont pas personnellement. Par exemple, la norme signifiée par la stipulation d’un contrat d’assurance en vertu de laquelle tel individu s’engage à indemniser tel autre individu chaque fois que celui-ci subit un dommage, est personnellement non générale et matériellement générale : une telle norme peut donner lieu à un nombre indéfini d’applications, mais toujours entre les mêmes parties54. De même, une délégation de signature est un acte porteur d’une norme à la fois individuelle et matériellement générale : elle vise une personne déterminée, le délégataire, et une catégorie de comportements : la signature d’une ou plusieurs catégories d’actes. C’est encore le cas d’une mesure de police enjoignant à une personne déterminée de procéder au salage de son trottoir en cas de verglas : elle est également individuelle et abstraite. 320. À l’inverse, certaines règles personnellement générales ne le sont pas matériellement. Michel Virally estime l’existence de ce cas de figure impossible55. Une règle impersonnelle serait nécessairement générale sur le plan matériel. En réalité, l’existence de ces normes est logiquement possible : par exemple, une règle prescrivant que les électeurs français doivent voter le 22 avril 2007 pour élire le président de la République ou bien, une règle selon laquelle les contribuables français doivent payer un impôt exceptionnel, à telle date et calculé de telle façon, sont des règles impersonnelles et concrètes. De même, les mesures de police interdisant la participation à une manifestation prévue pour le lendemain ou défendant d’entrer dans un bâtiment menaçant ruine, présentent un caractère impersonnel, dans la mesure où le groupe de personnes visé n’est pas encore déterminé, ni susceptible de l’être (on ne sait pas qui a l’intention de participer à la manifestation ou d’entrer dans le bâtiment), et aussi un caractère concret, car il s’agit d’une situation unique (telle manifestation prévue à telle date, tel bâtiment, situé à tel endroit). 321. Se pose donc la question de savoir si ces règles qui ne sont pas doublement générales peuvent toutefois être qualifiées de générales. 322. L’étude de la jurisprudence administrative française relative à la qualification des actes administratifs de réglementaires ou d’individuels ne permet 54. V. H. KELSEN, Théorie générale des normes, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1996, p. 9 : « Une norme qui pose comme obligatoire le comportement d’une personne individuellement déterminée peut aussi avoir un caractère général, si le comportement qu’elle pose comme obligatoire n’est pas le comportement unique, individuellement déterminé, mais plutôt le comportement généralement déterminé de cette personne. Ainsi, si par exemple un père, habilité par une morale valide – à donner des ordres à ses enfants – ordonne à son fils Paul d’aller à la messe tous les dimanches, ou de ne pas mentir, ce sont là des normes générales (…) ». 55. M. VIRALLY, La pensée juridique, op. cit., p. 46.

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