Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 193)

LA RÈGLE GÉNÉRALE, REMPART CONTRE L’ARBITRAIRE DES GOUVERNANTS 175 affirmant que si une Constitution ne prévoit pas de procédure d’annulation des lois, toute loi édictée par l’organe législatif est valable. En d’autres termes, la Constitution fonde la validité aussi bien de normes qui lui sont conformes que de normes qui lui sont contraires145. Le professeur Michel Troper met bien en lumière le caractère tautologique du raisonnement de Kelsen. Celui-ci part de l’idée qu’une norme tire sa validité d’une norme supérieure pour affirmer qu’une loi, bien que contraire à la Constitution, tire tout de même sa validité de la Constitution146. 511. En réalité, lorsque la Constitution ne prévoit pas de possibilité d’annulation des normes législatives, le législateur, en adoptant des lois, décide seul de leur caractère conforme à la Constitution. Il est donc conduit à interpréter la Constitution à l’occasion de l’édiction des actes législatifs. Or, son interprétation est authentique, puisque faute de contrôle, elle n’est pas susceptible d’être remise en cause. De la sorte, on peut affirmer que le législateur crée non seulement la norme législative mais également, par son interprétation, la norme constitutionnelle. De ce fait, « le problème posé (de la conciliation de la hiérarchie des normes avec l’existence d’actes contraires à la constitution et valides) peut être résolu de la manière la plus simple : il n’y a pas de hiérarchie et il n’y pas d’actes contraires à la Constitution. Celle-ci n’a pour contenu que les normes posées par l’interprétation des organes d’application et ces derniers ne sont jamais soumis à leur propre volonté »147. 512. À défaut de contrôle de supra-constitutionnalité des normes constitutionnelles, il ne peut exister de hiérarchie effective entre les normes constitutionnelles et les normes supra-constitutionnelles. En l’état actuel du droit, aucune obligation de conformité aux règles générales n’est donc susceptible de peser sur d’éventuelles règles particulières, ce qui est formulé par le doyen Vedel en ces termes : « La règle « Tu patere legem quam (ipse) fecisti » qui interdit à une autorité de prendre des décisions individuelles dérogeant à un règlement de même niveau n’est applicable en droit français qu’aux autorités administratives. Elle ne vaut pas pour le législateur (…). Elle vaut encore moins pour le pouvoir constituant. (…) L’équilibre démocratique repose sur une répartition des compétences se limitant les unes les autres et dont l’effectivité est assurée par les juridictions de nature diverse. Mais il faut bien qu’au-delà de ce réseau de compétences distribuées, il existe un lieu juridique où la souveraineté démocratique s’exerce sans partage. Ce lieu est celui du pouvoir constituant »148. 145. H. KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la constitution », RDP 1928, p. 250 ; Théorie pure du droit, p. 360 et s. 146. M. TROPER, « Le problème de l’interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », op. cit., p. 140. 147. Ibid., p. 143. M. Troper poursuit en expliquant la contradiction apparente qui existe entre l’idée que l’organe législatif crée la constitution (en l’interprétant) et celle que l’organe législatif a été créé, institué par la constitution. Cette contradiction n’est qu’apparente : la constitution n’est pas un ensemble de normes juridiques mais un texte, un ensemble de dispositions. Par ce texte, le constituant exprime sa volonté que soient constitués un certain nombre d’organes. Ces organes, ainsi créés, vont interpréter de concert les dispositions constitutionnelles. L’interprétation n’est donc pas unilatérale. C’est ce qui explique pourquoi la constitution contribue à déterminer sa propre interprétation et sa propre application ; « mais ceci ne résulte pas de sa valeur supérieure dans la hiérarchie des normes, mais du fait qu’elle est un ensemble organisé d’autorités » (p. 144). 148. G. VEDEL, « Schengen et Maastricht (à propos de la décision n° 91-294 DC du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1991) », op. cit., ici p. 179.

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