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LE RAPPORT DE SPÉCIALITÉ 277 rendre compte de la différence entre la norme selon laquelle le vendeur d’un fonds de commerce s’engage à ne jamais installer un fonds de commerce semblable à proximité du fonds qu’il vend et la norme selon laquelle le vendeur d’un fonds de commerce s’engage à ne pas installer de fonds de commerce semblable à proximité du fonds qu’il vend pendant vingt ans. Les éléments personnel, matériel, territorial sont identiques dans les deux normes. L’élément temporel est indépendant d’eux et permet seul de différencier les deux normes. 815. Si on met de côté l’élément spatial, on ne peut pas non plus rendre compte de la différence entre la norme qui interdit la projection d’un film sur tout le territoire français et celle qui l’interdit dans une seule commune. Il n’y a là encore que l’élément spatial qui diffère d’une norme à l’autre. Rattacher l’élément spatial à l’élément matériel, en disant que l’élément spatial permet de déterminer l’élément matériel est source de complexité et de confusion. 816. Les dimensions temporelle et spatiale sont toujours secondaires. Bien des règles sont indépendantes alors même que leurs champs d’applications coïncident exactement sur le plan spatio-temporel : les règles applicables à des comportements futurs et sur l’ensemble du territoire français sont très souvent indépendantes. C’est bien ce que semble vouloir dire Norberto Bobbio quand il écrit : « Le troisième critère, celui de la spécialité, diffère des deux autres examinés jusqu’ici, car, pour pouvoir l’appliquer, il faut s’en rapporter à la matière réglée. (…) Le critère de spécialité est fondé sur un jugement de fait concernant l’étendue différente des dispositions normatives incompatibles en ce qui concerne, soit la validité matérielle, soit celle personnelle, soit toutes les deux ensemble (des différences de validité temporelle et de l’espace, à elles seules, c’est-à-dire lorsque les validités personnelles et matérielles restent les mêmes, ne donnent pas lieu à un rapport de spécialité) »13. 817. Si elles sont secondaires, les dimensions spatiale et temporelle des règles ne sont pas pour autant inutiles : l’indépendance du seul point de vue spatial ou temporel entre deux règles entraîne l’indépendance de ces deux règles. Par exemple, les règles applicables uniquement sur le territoire de telle commune sont indépendantes de celles applicables uniquement sur le territoire de telle autre commune même si elles ont le même champ d’application personnel, matériel et temporel, ou encore, la règle selon laquelle les automobilistes peuvent stationner le long de telles voies publiques de telle commune est indépendante de celle selon laquelle les automobilistes ne peuvent pas stationner le long de telles autres voies publiques de la même commune. 818. À l’inverse, il ne peut y avoir superposition entre deux normes ou deux séries de normes que s’il y a superposition du point de vue temporel et spatial. Mais cette superposition du point de vue spatial ou temporel ne suffit pas à établir la superposition de l’ensemble du champ d’application des deux normes ou des deux séries de normes. 819. L’indépendance du point de vue temporel OU spatial est une condition non nécessaire mais suffisante pour qu’on puisse parler d’indépendance entre les normes. 13. N. BOBBIO : « Des critères pour résoudre les antinomies », Les antinomies en droit, Études publiées par Chaïm Perelman, Bruxelles, Bruylant, coll. « Travaux du centre national de recherches de logique », 1965, p. 237.

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