Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 367)

LA PLACE DES RÈGLES GÉNÉRALES DANS LA HIÉRARCHIE DES NORMES 349 verselles. Encore faut-il se mettre d’accord sur leur contenu. Et leur formulation même leur fait perdre leur universalité en leur conférant un champ d’application. Toute norme, une fois formulée, est nécessairement non universelle. En admettant même que la norme « il est interdit de tuer » est une norme de droit naturel valable en tout temps et en tout lieu et pour tous les êtres humains, elle n’est pas pour autant universelle. En effet, du point de vue de l’élément matériel de la norme, elle ne vise que l’action de tuer et non celle de blesser ou de torturer. L’universalité n’est concevable, pour les normes, que des points de vue personnel, temporel et spatial. La généralité de la règle ne peut donc être que catégorielle. Une règle ne peut avoir un champ d’application universel dans ses quatre dimensions. 1014. D’ailleurs, des réflexions d’Olivier Jouanjan, il ressort que l’impératif d’universalité de l’égalité ne concerne pas la règle elle-même mais ses effets : « L’égalité doit donc être jugée dans les effets des différences et identités de traitement instituées par la règle à l’égard d’individus concrètement situés et abstraitement regroupés en catégories. Cette égalité dans les effets de la règle est assurée lorsque les divers traitements assurent entre tous les individus appartenant à la classe universelle de référence un certain équilibre qui résulte de l’absence de faveurs ou de défaveurs »165. Même pour ceux qui voient dans la Constitution un impératif d’universalité de l’égalité, la règle de droit n’est pas elle-même universelle. La définition catégorielle de la généralité n’est pas remise en cause. On peut par ailleurs souligner que l’expression « classe universelle » est un oxymore dans la mesure où toute classe est une limitation alors que l’univers est illimité. 1015. Ainsi le principe d’égalité consacré par la Constitution ne condamnet-il pas la généralité catégorielle de la règle de droit. Une règle juridique n’est pas contraire à la Constitution parce qu’elle vise une catégorie, parce qu’elle a un champ d’application limité. Même si selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « la loi doit être la même pour tous », les règles de droit ne sont pas les mêmes pour tous. C’est le « paradoxe sur l’égalité devant la loi » relevé par Marcel Waline166 : « Nous ne considérons plus comme des privilèges contraires à l’égalité devant la loi, que les privilèges tenant à la naissance. Les législations d’exception, soit pour conférer à certains des privilèges, soit pour exclure certains autres du droit commun, sont en voie de passer dans les mœurs, pourvu seulement que les discriminations qu’elles établissent ne tiennent pas à la naissance. Ainsi, nous nous habituons aux privilèges, et dans la même mesure nous nous éloignons de l’égalité devant la loi ». jamais « la même pour tous », contrairement à ce que semble dire l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Quelle que soit la loi, elle comporte toujours des distinctions plus ou moins importantes, par exemple selon l’âge des personnes (…), leur santé mentale (…), leur fortune, leur profession (…), leur statut familial (…) ». Charles Leben explique qu’on a même pu formuler mathématiquement le « coefficient d’inégalité » d’un système juridique, en fonction du nombre des « classes d’équivalence » qu’il autorise : M. VANQUICKENBORNE, « La structure de la notion d’égalité », dans P. Foriers et Ch. Perelman [dir], L’égalité, Bruxelles, Bruylant, vol. I, 1971, p. 176-195. V. aussi F. LUCHAIRE, « Un Janus constitutionnel : l’égalité », RDP 1986, p. 1229-1274, spéc. p. 1240 : « La loi ne peut pas être la même pour tous les ressortissants de l’État, quelle que soit leur situation. Rares sont les lois qui s’adressent à tous : le plus souvent la loi vise des catégories de personnes ou certaines situations particulières à telle ou telle catégorie. Il appartient au législateur de déterminer le champ d’application de la loi qu’il édicte ». 165. O. JOUANJAN, « Réflexions sur l’égalité devant la loi », op. cit., p. 138. 166. M. WALINE, « Paradoxe sur l’égalité devant la loi », D. 1949, chron. VI, p. 25-28, spéc. p. 26-27.

Table des matières de la publication Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1

Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1