Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1 - (Page 73)

LES RÈGLES GÉNÉRALES, DES RÈGLES CATÉGORIELLES 55 étroite. Ainsi la loi du 13 août 1940 portant interdiction des sociétés secrètes viset-elle spécialement la franc-maçonnerie. Une règle formellement générale peut ne pas l’être en réalité, et inversement, dans la mesure où, en dépit du fait qu’elle vise une catégorie de personnes ou de situations, elle ne concerne dans la réalité qu’une personne ou une situation particulière. Les exemples sont nombreux et il est souvent de notoriété publique que certaines lois ont été, à dessein, déguisées en règles générales mais ne concernaient qu’une personne déterminée. Ainsi la loi du 17 juillet 1889 interdisant les candidatures multiples aux élections législatives visait-elle tout particulièrement le Général Boulanger. 148. Le refus du Conseil constitutionnel de censurer le détournement de pouvoir. La loi du 23 octobre 1984 sur les entreprises de presse dont l’un des objectifs était de sauvegarder le pluralisme en limitant la concentration, a été très controversée à ce sujet. Le Conseil constitutionnel a été saisi par un groupe de 91 députés et de 152 sénateurs. Les uns comme les autres mettaient en avant le fait que la loi visait spécialement le groupe de presse Hersant. En effet, le gouvernement ne pouvant faire condamner monsieur Hersant par le juge judiciaire devant lequel il était poursuivi pour infraction à l’ordonnance du 26 août 1944125, décida d’utiliser la procédure législative pour parvenir au même résultat. L’article 13 de la loi prévoyait d’ailleurs l’application de la loi nouvelle – le respect de certains plafonds – aux situations déjà constituées au moment de la publication de la loi. Pour les sénateurs, il s’agissait d’une violation de la séparation des pouvoirs : « Il est de notoriété publique que le projet de loi a été rédigé pour s’appliquer à un seul cas, celui d’un dirigeant d’un groupe de presse, que le juge n’avait pas sanctionné. Tout se passe dès lors comme si le législateur avait décidé de se comporter comme un juge de substitution »126. Les députés invoquaient quant à eux le détournement de pouvoir, la loi ne poursuivant pas selon eux le but affiché de la sauvegarde du pluralisme, mais la « volonté de démanteler le plus grand groupe de presse de l’opposition » dirigé par Robert Hersant127. 149. Dans sa décision des 10-11 octobre 1984128, le juge constitutionnel, sans reconnaître la violation du principe de séparation des pouvoirs ni le détournement de pouvoir, a néanmoins répondu aux attentes des requérants en censurant Disons le tout net : certaines lois abstraites ne sont pas générales. La généralité formelle d’un texte ne garantit pas sa généralité matérielle ». L’auteur prend alors pour exemple la loi du 30 janvier 1953 relative à la répression des crimes de guerre, laquelle vise un tout petit nombre de personnes dont chacun savait, au moment où elle a été votée, quels étaient les noms, et la loi du 20 avril 1886 relative aux membres des familles ayant régné sur la France. Raymond Bouyssou assimile donc abstraction et généralité formelle. 125. Ordonnance du 26 août 1944 sur l’organisation de la presse française, JO du 30 août 1944, p. 779. De l’ordonnance du 26 août 1944 est issue la règle « un homme - un quotidien », destinée à lutter contre la concentration en interdisant à une personne physique d’être propriétaire de la majorité du capital de plus d’un quotidien. 126. JO du 13 oct. 1984, p. 3207. 127. JO du 13 oct. 1984, p. 3211. 128. CC, décision n° 84-181 DC, 10-11 oct. 1984, Entreprises de presse, JO du 13 oct. 1984, p. 3200 ; GDCC n° 36 ; P. AVRIL et J. GICQUEL, Pouvoirs, n° 33, p. 163 ; J.-J. BIENVENU, AJDA 1984, p. 684692 ; L. FAVOREU, RDP 1986, p. 395 ; D. PERIER-DAVILLE, Gaz. Pal., 2-4 déc. 1984 ; M. de VILLIERS, Rev. adm. 1984, p. 580 ; C. DEBBASCH et G. DROUOT, « La loi du 23 octobre 1984 et la liberté de la presse », Actualité législative Dalloz 1985 ; S. HUBAC et J.-E. SCHOETTL, « La situation des groupes de presse à la suite de la décision des 10 et 11 octobre 1984 du Conseil constitutionnel et de la promulgation de la loi du 23 octobre 1984 », RSC 1985, n° 1, p. 3 ; J.-C. MASCLET, « La loi sur les entreprises de presse », AJDA 1984, p. 644 ; G. VEDEL, « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir http://www.126.JO http://www.127.JO http://www.128.CC

Table des matières de la publication Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1

Biblio droit public - Les règles générales en droit public français -1