Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 166

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

comme principe formel, pour la garantie des intérêts et la stabilité des affaires. À
défaut de quoi, c'est tout le flottement des opinions, qui se substitue à la direction
inflexible du droit positif ; c'est l'incohérence et l'agitation des passions humaines,
qui menacent de supplanter le balancier, immuable et incorruptible, de la justice.
« La croyance à l'absolu » a écrit en ce sens É. Boutmy24 « est une condition
essentielle de bonne justice. Le juge, qui ne croit pas trop à l'autorité de ses
maximes, est bien près de n'y pas croire assez. Le jour, où il s'aviserait de reconsidérer les bases de ses jugements, et de trouver qu'elles n'ont qu'une valeur relative,
verrait se multiplier les questions pour l'ami, comme les appelle Montaigne, j'entends celles où l'absence d'un précepte clair, net et indiscuté, rend au magistrat la
liberté d'écouter ses préférences pour les personnes... ».
Plus l'objection est sérieuse, plus il importe de l'envisager de face, de reconnaître, en pleine sincérité, la part de vérité qu'elle contient, et, en signalant le point
faible, qui rend ses conclusions irrémédiablement caduques, d'essayer de tirer un
enseignement utile de l'avertissement qu'elle nous donne.
Je me garderai de mettre en doute l'importance absolument capitale de la
certitude des solutions juridiques, en vue d'une ferme direction de la pratique et
de la sécurité indispensable au progrès de la vie sociale. Sur ce point, j'accepte
sans hésiter les prémisses de l'argumentation, que je viens de résumer25. Même, je
confesserai volontiers qu'il vaut mieux parfois renoncer à certain raffinement de
justice concrète, pour maintenir la suprématie de la règle générale, placée à l'écart
des opinions individuelles, connue de tous, la même pour tous. - Encore pourtant, ne doit-on pas sacrifier à une chimère d'inflexibilité et d'égalité abstraites
toute idée d'adaptation individuelle des principes généraux, par le moyen de l'appréciation judiciaire, en des cas où les circonstances, qui conditionnent la décision
de droit, sont trop variables et trop nuancées, pour entrer dans le moule rigide
d'une formule légale (voy. le n° 85, in fine). Autant vaudrait, sous prétexte d'éviter
l'arbitraire, remettre au sort des dès la solution des litiges juridiques.
Cette réserve faite, et tout en maintenant, hors delà, comme un desideratum
absolu, la stabilité et la certitude du droit, reste à savoir, dans quelle mesure cet
idéal est réalisable, et par quels moyens on s'en peut rapprocher. Et, c'est ici que,
je le déclare, je trouve absolument défaillante l'objection qu'on nous oppose. Elle
paraît tenir pour assuré, d'une part, que la plénitude des solutions juridiques est
contenue dans le système traditionnel, d'autre part, que ce système consiste tout
entier en éléments objectifs, issus de la loi écrite ou suggérés par une logique absolue, qui puissent supprimer mécaniquement, et par une sorte de fatalisme géométrique, la part du jugement individuel dans la mise en œuvre du droit26. Or, le
résultat de nos recherches, en vue d'une critique négative de la méthode courante
(voy. toute ma seconde partie, et notamment les nos 25, 33, 61, 64-68, 75, 80-81
[81 bis et 81 ter), a, je le crois, condamné sans appel ces deux prétentions. - Ce
24. Des rapports et des limites des Études juridiques et des Études politiques, dans : Revue internai,
de l'enseigne ment, 1889-1o, t. XVII, p. 221.
25. Adde : van Bemmeln, Les Notions fondamentales du droit civil, 1892, p. 18 : « Le jugement
juridique, étant essentiellement un jugement collectif, ne peut se rapporter à des actions déterminées,
à des cas isolés. Il ne juge que des espèces, des classes, des catégories d'actions ou de cas ; ou il ne juge
les cas qui se présentent, qu'à des points de vue généraux ou abstraits, sur lesquels les hommes covivants puissent être d'accord, de manière à juger uniformément ».
26. Voy. par ex. É. Alglave, Action du Ministère public et Théorie des droits d'ordre public en
matière civile, t. I2, 1874, p. 558-568. - Mais voy., un peu plus loin, p. 569-570, la singulière distinction, établie par cet auteur, entre l'action de la doctrine et celle de la jurisprudence.
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