Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 35

ÉVOLUTION DE LA MÉTHODE JURIDIQUE

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chez Toullier, Duvergier, Taulier. Elle se retrouve plus tard, avec une note
plus accentuée d'indépendance dogmatique, dans les ouvrages de Troplong7.
Mais, quand on arrive à une nouvelle génération de jurisconsultes, à ceux qui
commencent à se faire connaître vers la seconde moitié du xixe siècle, nourris par
conséquent de l'esprit des codes, on voit surgir, et bientôt se dessiner à arêtes plus
vives, une conception, nouvelle dans sa formule tranchante, du rôle de l'interprète
du droit codifié8.
10. Cette conception, qui devait bientôt devenir à peu près générale, se trouve
exprimée, dès 1841, de la façon la plus nette et jusqu'à l'excès du paradoxe, dans
un mémoire lu, à l'Académie des sciences morales et politiques, par Blondeau,
alors doyen de la Faculté de Droit de Paris, sur l'Autorité de la loi, avec ce soustitre : « De quelle source doivent découler aujourd'hui toutes les décisions juridiques »9. - Pour Blondeau, l'unique source des décisions juridiques doit être
actuellement la loi : il admet bien sans doute son interprétation, mais comme
devant venir exclusivement d'elle-même, de son texte ou de l'esprit qui l'a inspirée,
non d'aucune autre source étrangère10. Il exclut ainsi ce qu'il appelle « les fausses
sources de décision, que l'on a si souvent substituées à la volonté du législateur »,
parmi lesquelles, il cite : les précédents ou autorités, les usages non expressément
consacrés par la loi, le sentiment de l'équité, l'idée de l'utilité générale, les adages
7. Comp. ce que Savigny écrivait, en 1839, de la littérature juridique française, Traité de droit
romain, trad. Guenoux, t. I, p. 197. [- Adde : M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, 6e édition,
t. I, Paris, 1911, n° 128, p. 48. - L'interprétation, subjective et souvent fantaisiste de Troplong, a
exercé une influence funeste. C'est elle, surtout, à mon avis, qui a déterminé la réaction violente et
exacerbée de Laurent].
8. Ces lignes étaient écrites, depuis plusieurs mois, lorsque le hasard des lectures m'a fait tomber
sous les yeux un article de J. Unger, publié en 1855, qui décrit, pour tous les pays de moderne codification, un processus d'évolution fort analogue à celui que je signale ici dans la doctrine juridique
française du xixe siècle. J. Unger, Ueber den Entwickelungsgang der österreichischen Civiljurisprudenz
seit der Einführung des allgemeinen bürgerlichen Gesetzbuches, article publié dans les Jahrbücher der
deutschen Rechtswissenschaft de Schletler, t. I, 1855, p. 353 sq., et reproduit en appendice dans le
System des österreichischen allgemeinen Privatrechts, 4e édition, 1876, t. I, p. 635-638. Unger en fait
particulièrement l'application à la littérature juridique de l'Autriche, pour laquelle il se montre assurément plus sévère qu'on ne saurait l'être pour notre doctrine française, p. 640-641 et 645-646. - On
pourra comparer aussi l'influence qu'il attribue au plan des études juridiques, de 1810, pour l'Autriche, loc. cit., p. 641-644, avec les idées, récemment émises en France, sur notre loi du 22 ventôse
an XII, idées assez nettement résumées dans : H. Taine, Les Origines de la France contemporaine. Le
régime moderne, t. II, Paris, 1894, p. 206-208. - Adde, pour le développement scientifique du droit
prussien, à la suite de l'Allgemeines Landrecht : Förster-Eccius, Théorie und Praxis des heutigen
gemeinen preuszischen Privatrechts, t. I, 5e éd., 1887, p. 25-26. [- Et, sur les tendances restrictives de
l'interprétation juridique allemande, à la suite du Code civil d'Empire, de 1896, voy. Ed Lambert, La
fonction du droit civil comparé, t. I, Paris, Giard et Brière, 1903, p. 94-95. - Comp., en ce qui concerne
la doctrine française du xixe siècle : M. Planiol, op. cit., t. I, 6e éd., 1911, n° 129, p. 48-49. -
J. Bonnecase, La Thémis (1819-1831). Son fondateur, Athanase Jourdan, 2e éd. Paris, L. Tenin, 1914,
passim. - J. Gharmont et A. Chausse, Les interprètes du Code civil, dans Le Code civil. Livre du
centenaire, Paris, Rousseau, 1904, t. I, p. 131-172].
9. Je ne sache pas que le texte intégral de ce travail ait été publié. Mais le résumé nous en est connu
par les Comptes-rendus de l'Académie des sciences morales et politiques, publiés dans le Moniteur universel, par Vergé et Loiseau, et réunis en volume en 1893. Voy. ce volume, p. 362-364 et p. 445-451.
10. À cet égard, comme sur bien d'autres points, BLONDEAU se rattachait à l'école de Bentham,
et professait les idées, que celui-ci avait exposées, comme desideratum législatif, dans son Traité de la
Codification. Voy. le résumé de ces idées dans : Blondeau, Essais sur quelques points de législation et
de jurisprudence, 1860, p. 341-344 ; et voy. encore, sur ce point, l'opinion conforme de Blondeau luimême dans sa Chrestomatie, 1843, Introduction, p. xlv, note 1. « ... dans notre opinion, un gouvernement bien organisé ne doit reconnaître pour éléments du droit que les lois proprement dites... »
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