Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 99

EXAGÉRATION DE L'ÉLÉMENT LÉGAL DANS LA MÉTHODE JURIDIQUE TRADITIONNELLE

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puisque toute disposition, consacrée en forme de loi, et émanant du pouvoir compétent, peut, quel que soit son objet principal, contenir de semblables règles.
En partant de cette notion, tout à fait élémentaire, de la loi, le simple bon
sens va suffire, je crois, à nous indiquer les bornes de son autorité. Nous constatons, d'une part, que la loi émane de l'intelligence et de la volonté111 humaines,
puisque le pouvoir, qui la porte, sous quelque forme qu'on le suppose constitué,
réside toujours dans un homme ou dans une réunion d'hommes112 ; d'autre part,
que cette intelligence et cette volonté, le plus souvent collectives, s'expriment en
une formule, conçue dans le langage de ceux que la loi doit régir, afin de faire
passer dans leur esprit la substance même des règles qu'elle édicte113.
D'après cela, deux limitations générales à la portée de la loi, envisagée comme
source juridique, se présentent inévitables114.
57. Et, d'abord, comme toute œuvre humaine, la loi sera forcément incomplète115. Si affiné qu'on le suppose, l'esprit de l'homme n'est pas capable d'embrasser, dans son entier, la synthèse du monde où il se meut. El, cette infirmité
irrémédiable est particulièrement sensible dans l'ordre juridique, qui, pour être
saisi en totalité, supposerait connus, à l'avance, tous les rapports, pouvant susciter, entre les hommes, des conflits d'aspirations ou d'intérêts. Imaginât-on, par
impossible, un législateur assez perspicace pour pénétrer, d'un large et profond
coup d'œil, l'ensemble de l'ordre juridique de son époque, encore faudrait-il
reconnaître qu'il ne saurait prévoir, pour les régler à l'avance, tous les rapports
futurs116. À cet égard, les idées, jadis émises par Portalis117, restent éternellement
vraies. Et, il faut bien reconnaître qu'une législation positive, procédât-elle exclusivement par catégories générales et par formules abstraites, n'englobera jamais
111. F. Suarez, S. J., Tractatus de legibus et legislatore Deo, lib. I, cap. IV, §§ 6-7, et cap. V.
112. Comp. Paul Leroy-Beaulieu, l'État moderne et ses fonctions, 1890, p. 29.
113. [On trouvera une étude, plus complète, de la notion de loi et des limites que comporte,
d'après sa nature, et d'après nos conditions sociales, la puissance législative, dans : M. Leroy, La loi.
Essai sur la théorie de l'autorité dans la démocratie, Paris, Giard et Brière, 1908].
114. Le principe de ces limitations, tenant à la nature même des choses, me paraît, très nettement,
quoique d'un mot seulement, indiqué dans un passage d'Aristote : НϴΚΩΝ ΝΙΚΟΜΑΧΕΙΩΝ, liv. V,
cap. X (xiv), § 4. « La cause de cette différence (entre le juste légal et l'honnête) c'est que toujours la
loi est générale nécessairement, et qu'il est certains objets, sur lesquels on ne saurait convenablement
statuer par voie de dispositions générales. Aussi, dans toutes les questions, où il est absolument inévitable de prononcer d'une manière purement générale, et où il n'est pas possible de le bien faire, la loi
ne saisit que les cas les plus ordinaires, sans se dissimuler, d'ailleurs, ses propres lacunes. La loi pour
cela n'est pas moins bonne ; la faute n'est point ici à elle ; la faute n'est pas davantage dans le législateur qui porte la loi ; elle est tout entière dans la nature même de la chose ; car c'est là précisément la
condition de tous les actes de pratique ». Adde : §§ 5-7 ; trad. Barthélemy Saint-Hilaire, Morale
d'Aristote, 1856, t. II, p. 184-185. - Cpr. Platon : ΠΟΑΙΤΙΚΟΣ, 294 a-b, cap. XXXIII. -
Adde encore : Aristote, La République Athénienne, trad. Th. Reinach, 1891, § 9, p. 18 : « Quelquesuns prétendent même que Solon rédigea à dessein ses lois avec obscurité, afin de laisser au peuple-juge
le droit de les interpréter ; mais cela est peu probable et cette obscurité s'explique plus simplement par
l'impossibilité où il se trouva d'atteindre en tout la perfection. »
115. L'idée contraire n'a pu être acceptée que chez les peuples, où la loi, étant réputée d'origine
directement divine, se trouvait, par là même, tenue pour parfaite et immuable. Voy. A. Morelli, La
funzione legislativa, 1893, p. 85 et p. 95.
116. Comp. O. Bülow, Gesetz und Richteramt, 1885, p. 31.
117. Notamment, dans : Discours préliminaire sur le projet de Code civil, Fenet, Recueil complet
des trav. prép., I, p. 469-476 ; et Exposé des motifs du titre préliminaire, présenté le 4 ventôse au VI,
Fenet, op. cit., t. VI, p. 358-360. (Voy. ci-dessus, n° 47). - Comp. : Motive zu dem Entwurfe eines bürgerlichen Gesetzbaches für das deutsche Reich. Amtliche Ausgabe, 1888, p. 7, in medio ; p. 16, in medio.
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