Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 102

98

MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

s'est pas exercée. De telle sorte, qu'il appartienne nécessairement à l'élaboration
juridique, d'établir, de toutes pièces, une réglementation d'intérêts, qui échappe,
par sa nature même, à toute volonté particulière.
À ces trois ordres d'idées, correspondent trois sortes, bien distinctes, de règles
juridiques : les unes, simplement directives ou supplétives de la volonté individuelle ; les secondes, impératives ou prohibitives ; les troisièmes, enfin, proprement dispositives259.
Or, dans notre organisation sociale actuelle, chacune de ces trois sphères se
trouve, en harmonie avec son but propre, dominée par un principe général et
essentiel, dont elle n'est que le développement. Ramenant ces trois principes à une
formule simple, d'accord avec les habitudes de notre terminologie la plus courante, je crois pouvoir les caractériser ainsi : 1° principe de l'autonomie de la
volonté ; 2° principe de l'ordre public ou de l'intérêt supérieur ; 3° principe de
l'équilibre des intérêts privés en balance.
Assurément, ces trois principes, qui se combinent et s'enchevêtrent dans l'application, animent tout le système, se dégageant de nos sources, principalement de
nos lois codifiées, en tant qu'elles portent des règles formelles, qui rentrent dans
chacune des sphères indiquées. Mais, ici comme partout, les sources formelles ne
sauraient suffire aux besoins de l'interprétation juridique, en son entier. Et,
lorsqu'elles restent muettes ou incomplètes, pour certains rapports, dépendant de
nos trois sphères, la libre recherche doit y suppléer, suivant les préceptes que j'ai
esquissés plus haut. Or, il me paraît facile de faire entendre, au moyen de quelques
brèves indications, comment la simple mise en œuvre de ces préceptes peut aider,
ici, à un progrès, légitime et vraiment méthodique, du droit privé positif.
171.  Dans le domaine accessible à la libre action des volontés conscientes,
poursuivant les fins de l'individu, sans être arrêtées dans leur essor par la contradiction d'intérêts supérieurs, le droit moderne réalise, au mieux, sa mission, en
consacrant une pleine et féconde autonomie260. Ce principe de l'autonomie des
volontés individuelles, s'imposant à l'état latent depuis la disparition des anciennes
formes sociales261, accentué chez nous, dans l'ordre civil du moins, par la décadence du formalisme, dès le xiiie siècle262, et incessamment développé par la suite263,
259. C'est donc à tort qu'on prétend souvent diviser les règles juridiques en deux catégories
seulement : les unes, dites d'ordre public, dominant les volontés particulières ; les autres, abandonnées
à ces volontés. - Pareille distinction, trop simpliste, méconnaît cette vérité, de simple bon sens, que,
pour maints rapports juridiques, et, d'après leur nature même, ou d'après les circonstances de leur
origine, l'intervention de la volonté ne se conçoit pas rationnellement (Voy. ci-dessous, nos 173-174 et
rappr. ci-dessus, n° 128, t. I, p. 402.) [- Comp. H Capitant, Introduction à l'étude du droit civil, 3e éd.,
Paris, A. Pedone, 1912, p. 35-45 (Première partie, Chapitre III).]
260. Voy. C.  G. Wächter, Württemb. Privatrecht, t.  II, 1842, p.  5-6 ; cpr.  p.  50. - J.  unger,
Œsterreichisches Privatrecht, t. I4, 1876, p. 24. - Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, Des
Personnes, n° 266, t. I, 1896. p. 177. - Capitant, Introduction à l'étude du droit civil, 1898, p. 21-22 [ :
3e éd., 1912, p. 35.] - Endemann, Einführung in das Studium des B. G., § 8, I, t. I3, 1899, p. 33. Cpr. § 60,
II, p. 255 ; § 101, initio, p. 427.
261. Comp.  H.  Sumner Maine, L'Ancien droit, chap.  IX, trad.  Courcelle-Seneuil, 1874,
p. 288-346. - Et, sur l'autonomie juridique privée, dans l'ancien droit romain : R. von Jhering, Geist
des röm. Rechts, II, 1, 4e éd., 1880, § 31 in fine, p. 147-155 ; cpr. § 30, p. 122-133 ; 3e éd. de Meulenaere,
§ 35, in fine, et § 34 ; t. II, 1886, p. 142-150 ; cpr. p. 119-127.
262. Voy. Beaumanoir, Les coutumes du Beauvoisis, chap. XXXIV, n° 2 : « Toutes convenances
sont à tenir, et por ce dit on Convenence loi vaint...... »
263. Comp. P. Viollet, Histoire du droit civil français, 2e éd., 1893, p. 600-602.
Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2

Table des matières de la publication Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2
