Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 181

LE COMBAT POuR LA MÉTHODE EN FRANCE ET EN BELGIQuE

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- Et, si l'on veut scruter les conséquences de la conception qu'on nous oppose, on
ne peut manquer d'observer, comme il est dangereux d'assimiler à une source,
proprement créatrice de droit positif, les décisions des juges, soumises à des fluctuations incontestables111. On nous dit bien, que pareille mobilité est de l'essence
de la coutume, dont elle constitue un mérite capital. Mais, si je puis admettre cela
d'une pratique, à la mouvance nécessairement lente et progressive, parce qu'elle
repose sur l'usage et la conviction des intéressés, j'y résiste tout à fait, quand je
vois la règle de droit, exposée à toute l'insécurité, dont la menacent les sautes
brusques et déconcertantes d'opinion, inévitables dans un petit groupe d'hommes
(les juges), qui apprécient, de haut, les intérêts d'autrui. La circonstance, que ces
hommes représentent l'autorité sociale, ne saurait compenser les dangers du pouvoir énorme, qu'on prétend leur reconnaître. - Au surplus, du moment qu'on
déclare la jurisprudence non obligatoire pour le juge112, je ne vois pas ce qu'il peut
rester, en réalité, de la force créatrice, qui lui appartiendrait en même temps,
puisque cette force ne se peut pratiquement traduire que dans les sentences, qui
prononcent le droit sous la garantie de la contrainte sociale. - Enfin, et pour le
faire court, je me sens obligé de redire, une fois de plus113, qu'on ne peut considérer comme l'élément capital d'une interprétation, destinée, avant tout, à éclairer
les magistrats, l'opinion de ces magistrats mêmes, à moins de leur attribuer une
sorte d'inspiration surnaturelle, que, malgré sa vénération pour la tradition historique, Ed. Lambert lui-même se refusera, sans doute, à reconnaître aujourd'hui.
En définitive, une seule chose subsiste, de tous ces efforts poursuivis, en vue
d'assurer à la jurisprudence un rôle capital dans « l'évolution créatrice » du droit
positif. C'est que, si l'on ne peut admettre, sans forfaire à la conscience, que « la
justice est ce que les hommes, d'une époque donnée, dans un pays donné, croient
juste »114, du moins doit-on reconnaître, comme simple résultat d'une constatation de fait, que « le droit d'un pays est l'ensemble des règles, - qu'on les juge
bonnes ou mauvaises, utiles ou néfastes, - qui, à un moment donné, dans un pays
donné, sont effectivement appliquées par les praticiens et les tribunaux »115. Et,
sans qu'on puisse tirer de ce fait une injonction catégorique, qui suppose une
autorité ad hoc ou un principe supérieur d'ordre, on y trouvera assurément un
milieu, éminemment favorable, à la mise en relief de ce qui constitue l'essence
même de l'organisation juridique positive, et parlé, mais indirectement seulement,
au développement continu et progressif du droit vivant116.
111. Voy., à titre d'exemple, A. Wahl, Les variations de la jurisprudence sur les différentes questions relatives à l'effet déclaratif du partage, dans Le Code civil (1804-1904). Livre du centenaire, Paris.
A. Rousseau, 1904, t. I, p. 443-514.
112. Il en est tout autrement du droit coutumier, fondé, suivant les principes, sur la pratique et
l'assentiment des intéressés.
113. Pr. Geny, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, 1re éd., Paris, 1899, p. 434
(n° 148, in fine), 2e éd., t. II. p. 48. - Je dois constater, ici, qu'on n'a jamais essayé de répondre sérieusement à cet argument. II est assurément, plus aisé, de le dédaigner, voire de remettre, - Les explications,
fournies là-dessus par Ed. Lambert, La fonction du droit civil comparé, t. I, Paris, 1903, p. 167-169,
aboutiraient, plutôt, à renforcer mon point de vue.
114. Voy. cette assertion téméraire, chez G. Jèze (De l'utilité pratique des études théoriques de
jurisprudence), dans Revue du droit public, 1914. t. XXXI, p. 313. - En sens contraire, cons. Fr. Geny,
Science et technique en droit privé positif, t. II, Paris, L. Tenin, 1915, notamment chapitre neuvième
(XIV), p. 351-422.
115. G.  Jèze (De l'utilité pratique des études théoriques de jurisprudence), dans Revue du droit
public, 1914, t. XXXI, p. 312.
116. R.  Demogue, Les notions fondamentales du droit privé, Paris, A. Rousseau, 1911, p.  218,
note 2, a, de parti pris, écarté de son horizon le problème, qui vient d'être rappelé. - Je signalerai, aussi,
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