Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 196

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

prétention, de reconnaître au juge la puissance de découvrir ou de modifier les
règles générales de conduite sociale, dont la création et la fixation rentrent nettement dans le rôle propre et la mission exclusive du législateur3.
Il n'est pas malaisé de répondre à ces objections, tant qu'on reste sur le terrain de la discussion rationnelle ; et je pense l'avoir fait d'une façon, qui me permette, du moins, d'attendre la réplique, sérieuse et convaincante, toujours refusée
jusqu'alors4.
Que si, pourtant, on résiste encore à la netteté des explications fournies et à
la force des raisonnements développés, pour soutenir que l'indépendance, laissée
à l'interprète, conduit à la perversion du droit positif, ce ne peut être, ce me semble,
que par une sorte de désespérance, qu'inspire la difficulté, incontestable, de séparer, en fait et dans l'application, le domaine de la libre investigation du juge de la
sphère réservée à la puissance de la loi, et sous l'empire de cette appréhension,
quelque peu instinctive, que le juge, une fois la porte ouverte à son appréciation
propre, doive tendre nécessairement à en dépasser le domaine légitime, et qu'il
devienne, à bref délai, impossible de l'arrêter sur la pente de l'arbitraire5. Déplacé
ainsi du domaine rationnel, pour être porté sur celui du sentiment, le problème ne
comporterait plus de discussion proprement dite.
Mais, peut-être, sera-t-il alors envisagé, avec plus de profit, sous un angle, en
quelque sorte, expérimental. Et, c'est à ce titre, qu'il me paraît n'être pas sans
intérêt, de nous arrêter, quelques instants, devant cette petite crise de notre interprétation judiciaire, qui s'est manifestée dans un cercle assez restreint et sous une
influence personnelle ayant permis de la caractériser d'un nom significatif : le
« phénomène Magnaud »6.
L'on sait assez, de quoi il s'agit. Au regard de la manière, parfois hardie et
vigoureuse, mais toujours dominée par ses traditions de modération discrète et
de progrès sagement enchaînés, dont notre magistrature française résout les
litiges qui lui sont soumis7, quelques dissonances se sont produites, de la part
d'un petit nombre de juridictions. Et, parmi celles-ci, s'est distingué, pendant
une période d'environ quinze années (1889-1904), le Tribunal de première instance de Château-Thierry, par des saillies d'indépendance, continues et tapageuses, qui ont pu, sans contestation sérieuse, être imputées, principalement, à
son chef d'alors, le Président Maosaud. - Ce phénomène social, une fois remarqué, a attiré l'attention des publicistes et des penseurs ; même, pendant quelque
temps du moins, il a intéressé l'opinion. Aussi, a-t-il donné lieu à de nombreuses publications, documentaires ou critiques, qui, en n'en retenant que
3. Comp. ci-dessus, t.I, p. 208 (n° 84).
4. Voy. notamment ci-dessus, t. I, p. 208-219 (nos 85-86) et t. II, p. 224-225, (n° 184). - Adde n° 81
bis et n° 176 bis.
5. À peu près, comme on a pu soutenir, - pour condamner l'institution du divorce, - que cette
porte, ouverte à la liberté des époux, entraînait fatalement l'abus et conduisait ainsi à la ruine du mariage.
6. Voy, notamment, R. Majetti, Le phénomène Magnaud, dans Revue socialiste, 1903, 1°, t. 37,
p. 657 : « Tel est le phénomène Magnaud. un juge qui motive l'application de la loi par des attendus
humains et sociaux, en dehors de tout esprit professionnel, de toute tradition de caste. » - Voy, encore
Lino Ferrari, Criminologie. Nouvelle conscience juridico-sociale, dans Les documents du progrès. novembre 1911, V° année, p. 284-288. - Sans doute, a-t-on entendu donner au mot « phénomène »
son sens vulgaire. Je le prends, moi, an sens scientifique.
7. Comp. ce qui a été dit ci-dessus, t. II, p. 236, texte et notes 1 a 3 (n° 188), avec les références.
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