Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 37

LES SOuRCES FORMELLES Du DROIT PRIVÉ POSITIF ET LEuR INTERPRÉTATION

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pies, et parlons franc. Cela ne se pourrait admettre, que grâce à une fiction,
comme celle qui domine le droit anglais (voy. supra, t. II, p. 38-39), et en attribuant aux tribunaux un véritable pouvoir législatif, que toute notre organisation
politique leur refuse97.
149.  Je persisterai donc, quant à moi, à refuser de voir, en notre jurisprudence, une source formelle de droit privé positif, qui, à côté de la loi écrite et de la
coutume, puisse jouir d'une force créatrice indépendante98. Est-ce à dire, que je lui
dénie toute autorité et toute valeur positive ? Ces conséquences seraient loin de
ma pensée, et traduiraient mal les conclusions de mon examen. Je dois, ici, compléter ma solution principale, par deux observations, qui la limiteront et en préciseront la portée.
Tout d'abord, les précédents judiciaires, surtout quand ils forment, en un
sens déterminé, une suite constante de décisions uniformes et faisant bloc99,
doivent avoir, dans l'esprit de l'interprète, une autorité considérable. - J'entends
par là, que, non seulement ils exerceront sur lui l'ascendant moral et pratique, que
commande leur origine, mais, de plus, ils imposeront à son jugement une force de
conviction analogue à la force de raison écrite, que connaissait notre ancien
droit. Pour préciser, je dirai, qu'en présence d'une solution, étayée d'une ferme
jurisprudence, l'interprète peut se soustraire à la nécessité d'une investigation
nouvelle, sur la foi de précédents avérés, qu'à tout le moins il est fondé à trancher
ses hésitations personnelles, dans le sens que lui indique l'autorité, que même il ne
doit s'écarter de celle-ci, que pour des raisons décisives, emportant sa conviction
en sens contraire. - Assurément, ce n'est pas là une force législative proprement
dite, comme celle attachée à la loi écrite ou à la coutume, qui, dans leurs décisions
formelles, coupent court à toute libre recherche. Ce n'en est pas moins une puissance sérieuse, qui peut, et, dans une certaine mesure, doit, tenir en échec les incertitudes ou les caprices de la raison subjective100.
D'un autre côté, si la jurisprudence n'a pas, par elle-même, la valeur d'une
source formelle de règles juridiques, elle contribue souvent à la formation de semblables sources, ou même, elle en constitue comme un élément essentiel et indispensable, dans la réalité des choses. - C'est un fait bien connu, que, fréquemment, les
jugements ouvrent la voie à la loi écrite, qu'ils en préparent la disposition, en montrant la nécessité d'une règle nouvelle, et en suggérant son contenu. « N'est-ce pas
97. [Au fond, ce qui me sépare, essentiellement, d'Ed. Lambert, en tout ce problème, c'est, qu'à
ses yeux, il n'y a ici qu'une question de fait (voy. notamment : La fonction du droit civil comparé,
Paris, 1903. p. 162), tandis que j'y vois une vraie question de droit. Et, quand Lambert m'objecte,
qu'on ne peut empêcher les tribunaux de se dispenser de reprendre indéfiniment les mêmes questions (La fonction du droit civil comparé, p. 162, p. 169), je réponds que je demande seulement la
faculté, pour chaque tribunal, de reprendre, quand il le juge bon, une question, même déjà solutionnée par d'autres, voire par lui-même, sans être irrésistiblement lié par la jurisprudence antérieure.
Et, c'est ce que, même en fait, on refusera difficilement de m'accorder. - Adde, d'ailleurs, ci-dessus,
p. 364, note 2 (n° 119)].
98. Comp Aubry et Rau, § 39, in fine, texte et note 11, t. I5, 1897, p. 192. [- J. Michel, La prescription libératoire en droit international privé, thèse de doct. Droit, Paris, 1910-1911, p. 4-7 (introduction), se prononce également contre l'idée d'une autorité quasi-législative, à reconnaître à la « jurisprudence productive ». Pour le surplus, ce livre montre bien, par l'ensemble de ses développements,
combien la méthode juridique reste encore hésitante et, à vrai dire, peu faite.]
99. Rerum perpetuo similiter judicatarum auctoritas. Callistrate, fr. 38, Dig., De Legibus, I, 3.
100. Comp. le discours du premier président Mercier, pour l'installation du procureur général
Barbier, à la Cour de cassation, le 1er mai 1882. Le Droit, des 1-2 mai 1882, p. 433, col, 3.
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