Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 56

52

MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

l'activité judiciaire de l'activité législative. Tandis que le législateur n'est entravé
par aucunes lisières, dans l'appréciation d'une situation générale, qu'il règle de
façon tout abstraite, le juge, qui statue en vue de cas particuliers, et au sujet de
problèmes absolument concrets, doit, suivant l'esprit de notre organisation
moderne, et pour échapper aux dangers de l'arbitraire, se dégager, autant qu'il est
possible, de toute influence personnelle, ou venant de la situation particulière, qui
s'offre à lui, et baser sa décision juridique sur des éléments de nature objective10.
Et, c'est pourquoi l'activité, qui lui incombe, m'a paru pouvoir être justement
qualifiée : libre recherche scientifique ; recherche libre, puisqu'elle se trouve ici
soustraite à l'action propre d'une autorité positive ; recherche scientifique, en
même temps, parce qu'elle ne peut rencontrer ses bases solides, que dans les éléments objectifs, que la science peut seule lui révéler11.
Or, ce que je viens de dire du juge, interprète effectif et officiel du droit positif, s'applique nécessairement aussi, non seulement au praticien, mais à l'interprète doctrinal ou critique12. Le rôle de celui-ci, en effet, n'est que de préparer, de
la façon la plus adéquate au but, la mise en œuvre, pratique ou judiciaire, du droit
positif. La position du juge détermine forcément la sienne. Et, il importe peu,
qu'il échappe lui-même davantage à l'influence, inquiétante ou suspecte, des questions concrètes, du moment que l'objectif de ses efforts reste essentiellement, de
procurer l'adaptation des règles latentes du droit à tous les faits de la vie sociale.
De sorte que, dans la sphère de libre recherche, où nous l'envisageons maintenant, la méthode juridique doit avoir pour préoccupation dominante, de
découvrir elle-même, à défaut du secours des sources formelles, les éléments objectifs13, qui détermineront toutes solutions requises par le droit positif14.
Les pouvoirs du juge d'après le Code civil suisse. Cons. M. Gmür, Die Anwendung des Rechts nach
Art, 1 des schweizerischen Zivilgesetzbuchs, Bern, Stämpfli et Cie, 1908, surtout §  6. Die freie
Rechtsfindung, p. 100-116.]
10. Sur le caractère objectif, quoique non positif à proprement parler, du droit découvert par la
libre recherche scientifique, voy. particulièrement : L.  Schmidt, Handbuch des Handelsrechts, t.  I2,
1874-1870, p. 302-305.
11. C'est en se plaçant à ce point de vue, que l'on a pu, un peu inexactement d'ailleurs, faire de
la science, une source subsidiaire du droit objectif. Voy. notamment : L. Goldschmidt, Handbuch des
Handelsrechts, §  34, initio, texte et notes 1-2, t.  I2, 1874-1875, p.  301-305. - Bluntschli, Théorie
générale de l'État, trad. de Riedmatten, Paris, 1877, p. 13-14. - Contra : Hölder, Pandekten, 1891,
§ 16, Anmerkung II, p. 51. - van Bemmelen, Les not. fondam. du droit civil, 1892, p. 32. - O. Gierke,
Deutsches Privatrecht, § 21, texte et note 16, t. I, 1895, p. 181. - Tout dépend de la signification, qu'on
attache au mot : Sources.
12. Voy. Goldschmidt, op. cit., § 34, note 6, t. I2, 1874-1875, p. 305. - Endemann, Einführung in
das Studium des B. G., § 11, note 2, t. I5, 1899, p. 48.
13. Comp. Brocher de la Fléchère, Le Droit coutumier et la Philosophie du droit, dans Revue de
droit international et de législation comparée, 1877, t. IX, p. 578-580, p. 582-583. - C'est, d'après ces
idées, que l'on peut dire, que la mission du jurisconsulte ne tend jamais à une création proprement dite
du droit, et se ramène toujours à une interprétation : tantôt, interprétation d'une volonté traduite
dans la loi ou la coutume ; tantôt, interprétation du droit immanent à la nature des choses. Sous le
premier rapport, le mot interprétation est pris dans son sens propre : explication d'un acte de volonté
humaine (Demolombe, t. I, n° 115). Sous le second, il désigne une sorte de médiation entre le monde
social et la sphère juridique. Voy. L. Goldschmidt, Handbuch des Handelsrechts, t. I2, p. 302 et p. 305,
notamment note 6, in fine. - F. Regelsbergbr, Pandekten, t. I, 1893, p. 68, p. 107. - Cpr. : O. Stobbe,
Handbuch des deutschen Privatrechts, t. I2, 1882, p. 170. - Paul Leroy-Beaulieu, L'État moderne, 1890,
p. 107-119. - L. Bourgeois, Solidarité, 1896, p. 95. - Voy. encore G. Gavet, Sources de T histoire des
institutions et du droit français, 1899, p. 19 [- Contre la « jurisprudence de sentiment », et les formes
variées, sous lesquelles elle s'est déguisée, cons. L.  Brütt, Die Kanst der Rechtsanwendung, Berlin,
J. Guttentag, 1907, § 6, Die Gefüthlsjurisprudenz und die ihr verwandten Richtungen, p. 101-111.]
14. [M. Gmür, Die Anwendung des Rechts nach Art. 1 des schweiterischen Zivilgesstsbuches, Bern.
Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2

Table des matières de la publication Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2
