Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 63

LA LIBRE RECHERCHE SCIENTIFIQuE

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que les rapports de la vie sociale, ou, plus généralement, les éléments de fait de toute
organisation juridique (du moins possible), portent en soi les conditions de leur équilibre, et découvrent, pour ainsi dire, eux-mêmes, la norme qui les doit régir. Rien de
plus simple, d'après cela, semble-t-il, que de considérer de près toutes les relations
humaines, pour discerner celles d'entre elles, qui méritent reconnaissance juridique,
et trouver leur loi, en l'absence de toute source formelle. - Seulement, quand on
arrive à l'application, on s'aperçoit bien vite que le postulat, trop hâtivement affirmé,
reste en défaut, en ce sens, du moins, que la plus minutieuse analyse des rapports de
la vie, tout en rendant plus facilement pondérables les intérêts, qui y sont engagés, se
montre, à elle seule, impuissante à en dénoncer la règle précise et nette49. Il faut donc,
pour faire valoir pratiquement le procédé, le renforcer par de plus sûrs critériums. Il
faut chercher, en dehors et au-dessus des faits, la loi de leur harmonie.
Revenons, en effet, à l'objectif nécessaire de notre recherche. Il s'agit de
constituer, par un effort scientifique, une sorte de droit commun, général par sa
nature, subsidiaire par son office, qui supplée aux lacunes des sources formelles,
et dirige tout le mouvement de la vie juridique50. - Représentera-t-il un type
immuable, ou variera-t-il, suivant les temps, du moins eu quelques-unes de ses
parties51 ? Sera-ce un droit universel, ou n'offrira-t-il pas certains caractères nationaux52 ? Questions assez secondaires, en somme, et dont la solution, en tout cas,
ne peut être offerte a priori, dépendante qu'elle est, de la nature même des éléments, qui composeront ce droit commun nécessaire. - Mais, ce qu'il importe,
avant tout, c'est de savoir comment constituer ce droit commun positif.
Dans cette vue, une idée séduisante a été proposée, l'idée de but53. En prenant
pour point de départ cette vérité, suggérée par l'expérience et le raisonnement
49. C'est ce, qu'entre autres, Bekker a bien montré, dans Ernst and Scherz über unsere Wissenschaft, 1892, p. 147-149. - Cpr. F. Regelsberger, Pandekten, t. I, 1893, p. 69-70 [- Dans cette mesure,
je reconnaîtrais juste l'objection formulée contre moi par G.  Ripert, Droit naturel et positivisme
juridique (Extrait des Annales de la Faculté de droit d'Aix, nouvelle série, n° 1), marseille, 1918, p. 7-9
(n° 5). Mais, la suite de mes développements (voy. notamment, ci-après, t. II, p. 91-93) montrera que
l'objection ne porte pas contre notre doctrine, prise, comme elle doit l'être, dans son ensemble.]
50. Pour le dire en passant, tel doit être, à mon sentiment, le but propre de la partie générale, qui
paraît, dès maintenant, le préliminaire obligé de tout enseignement scientifique du droit civil. Voyez,
sur ce point, R. Saleilles, dans Revue intern. de l'enseignement, 1897, 2°, t. XXXIV, p. 523-529. Et,
c'est par une semblable conception, que la science juridique française pourrait, sans suivre trop servilement les sentiers battus par les jurisconsultes allemands, se constituer elle-même, et pour ellemême, la partie générale, dont elle sent le besoin. Cpr. Saleilles, loc. cit., p. 528. Voy., aussi, X, Monsieur Bufnoir (notice nécrologique), dans Archivio giuridico, t. LX, 1898, p. 537-538 et p. 543. - Sur
l'importance pratique d'un droit commun, pour combler les lacunes des sources formelles, voy.
O. Stobbe, Handbuch des deutschen Privatrechts, t. I2, 1882, p. 43-55. - Adde encore : R. Saleilles,
dans Annales de droit commercial, 1891, t. V-2, p. 221-223. - On a fait remarquer, avec raison, que
notre Code civil, pris en lui-même, offre mal les bases d'une pareille généralisation. C. Crôme. Allgemeiner Theil der modernen französischen Privatrechtswissenschaft, 1892, Vorrede, p.  VI : « Hierzu
kommt, dasz die Eigenart des Code civil einer solchen Zusammenfassung, welche heutzutage von
jedem denkenden Juristen gefordert wird, wie kaum ein anderes Gesetzbuch, widerstrebt, da mit
seiner überaus trefflichen Behandlung des Besonderen und Konkreten eine seltsame Schwäche in der
Erfassung des Principiellen und Allgemeinen Hand in Hand geht. »
51. [Contre l'idée d'une nature des choses, prédéterminée et immanente, et en faveur d'une conception, historique et évolutionniste, des éléments fondamentaux du droit, à considérer subjectivement, voy. O.  Lenel, Das bürgerliche Gesetzbuch und das Studium des römischen Rechts. Rede zum
Antritt des Rectorats, Strassburg, 1896, p. 16.]
52. Là-dessus, voy. R. von Jhering, Geist des römischen Rechts, § 1, t. I5, 1891, p. l-16 ; 3e éd. de
Meulenaere, t. I, p. 1-16.
53. R. von Jhering, Der Zweck im Recht, t. I3, 1893, t. II5, 1886.
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