Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 66

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

conscience et aperçus comme d'intuition par la raison humaine68, je n'ignore pas,
que je m'expose au reproche, d'en revenir à une doctrine, démodée, et presque
tombée en oubli, la doctrine du droit naturel. - Il me sera bien permis, pourtant,
de discuter ce reproche, et, sans m'arrêter à une condamnation trop sommaire,
qui n'est devenue banale qu'à force d'être machinalement répétée, de rechercher,
eu quelques mots, si notre science peut, sans manquer à sa mission, faire fi de la
notion de justice, telle qu'elle se traduit au fond de notre nature morale.
De tout temps, à vrai dire, la jurisprudence a présupposé, au moins à titre
d'idéal, cette notion innée de justice, comme appui nécessaire de ses constructions
positives69. Mais, à la suite d'une élaboration scientifique, trop exclusivement
poussée dans cette direction, une école puissante s'était constituée dès le xviie siècle
et définitivement affirmée au xviiie70, dans le sens d'une domination complète et
absolue des pures spéculations rationnelles sur toute la sphère du droit positif.
Parlant de l'idée de la puissance absolue de la raison humaine, pour découvrir,
dans leurs principes comme dans leurs détails, les lois assignées à notre nature,
l'École du Droit naturel prétendait constituer, par les seules forces de la pensée,
un système complet de droit, absolu, immuable, immédiatement et universellement applicable, que le législateur n'eût qu'à mettre en formules, en un Code
général, dont les lacunes, tenues a priori pour rares et peu probables (voy. ci-dessus, n° 38), fussent comblées par les juristes, suivant le même procédé71.
Contre cette doctrine, qui présida à la rédaction de l'Allgemeines Landrecht72,
comme à celle du Code autrichien de 181173, et qui n'est pas restée sans influence
sur notre Code civil français74, l'École historique semblait appelée à réagir vigou68. [Sur la distinction à faire, entre les principes de droit naturel, proprement dits, et les principes
de la technique formelle du droit positif, comp. B. Saleilles (École historique et droit naturel), dans
Revue trimestrielle du droit civil, 1902, t. I, p. 87-88 (§ 2), principalement, d'après E. R. Bierling, Jurislische Prinzipienlehre, t. I, 1894, p. 4 et sq.]
69. Voy. Ch. Beudant, Le Droit individuel et l'État, 1891, nos 18-20, p. 29-32.
70. Là-dessus, voy. H.  S. Maine, L'Ancien Droit, trad.  Courcelle-Seneuil, 1874, chap.  IV,
p. 77 et sq. - Et, sur tout le développement de l'École du droit naturel : G. Carle, La vita del diritio
nei suoi rapporti colla vita sociale, 1850, Parte Seconda, libro I, p. 291-341 et libro II, cap. II, p. 346358. - Adde : Stammler, Wirtschaft und Recht nach der materialistischen Geschichtsauffassung, 1896,
§ 31, p. 169-175. - E. Picard, Le droit pur, 1899, § LXXXII-LXXXIV, p. 161-167
71. Voy. un résumé, très net, de cette doctrine, avec documentation à l'appui, dans J. unger,
System des österreichischen allgemeinen Privatrechts, t. I4, 1876, p. 68-70. - Adde K. Cosack, Lehrbuch des deutschen bürgerlichen Rechts, § 6, 1, a, t. I2, 1899, p. 17-18. - Je l'ai principalement envisagée
dans sa dernière forme, essentiellement rationaliste, qui a exercé l'influence la plus marquée sur la
conception, en quelque sorte, officielle, du droit écrit moderne. Voy. notamment : G. Carle, La vita del
diritto, 1890, nos 198-203, p. 346-356.
72. Voir surtout : Stölzel, Suarez, 1885, p. 223. - Adde Förster-Eccius, Théorie und Praxis des
heutigen gemeinen preuszischen Privatrechts, t. I3, 1887, p. 6-7. Cpr. p. 4-5.
73. Elle se traduit surtout dans l'art. 7 de ce Code, qui fait du droit naturel une source subsidiaire
de droit positif. Voy. J. unger, op. cit., t. I4, 1876, p. 67-68 et p. 70. - Pfaff et Hofmann, Commentar zum
österr. allgem. B. G., t. I, 1877, p. 199-206. [- M. von Stubenrauch. Commentar zum österreichischen
allgemeinen bürgerlichen Gesetzbuche, 8 A. V. Bonnot, u. Schreiber, Wien, 1902, p. 40-41.]
74. Voy. notamment : Projet de l'an VIII. Livre préliminaire. Titre I, art. 1 et 4 ; tit. V, art. 11.
Fenet, Recueil complet des trav. prép. du Code civil, t. II, p. 3-4, p. 7. - Discours préliminaire sur le
projet, Fenet, t.  I, p.  475-477. - Exposé des motifs de Portalis au Corps législatif, le 4 Ventôse
an XI. Fenet, t. VI, p. 358-360. - Sur le rôle droit du naturel, dans l'interprétation du Code civil, voy.
Satigny, Vom Beruf unsrer Zeit., 3e éd., de 1840, p.  74, 76, 78. - Le Badisches Landrecht, de 1809,
conférait expressément valeur subsidiaire au droit naturel : art. 4 a. - Sur cette influence, de la doctrine
du droit naturel, dans les codifications de ce siècle, voy. : O. Gierke, Deutsches Privatrecht, § 21, texte
et notes 17-18, t. I, 1895, p. 181. - K. Cosack, op. cit., § 6, 2, a, t. I2, 1899, p. 18-19
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