Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 69

LA LIBRE RECHERCHE SCIENTIFIQuE

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D'ailleurs, les faits s'étaient chargés bien vite de réfuter une aussi manifeste utopie,
qui faisait fi des enseignements les plus clairs de l'histoire, et que contredisait la
position, incessamment changeante, des rapports entre les hommes. - Mais, passer
à l'extrême opposé, et ne plus admettre de règles, que dépendantes de la variété
même de ces rapports, n'est-ce pas, à l'inverse, sacrifier le fonds, permanent et
immuable, de vérité et de justice, qui s'impose à nous ? N'est-ce pas sacrifier le
droit lui-même, en le réduisant à la pure sujétion des faits ? À vrai dire, les plus
fougueux champions des théories positivistes n'en arrivent jamais là dans l'application. Et, malgré leur nihilisme doctrinaire, ils reviennent, inconsciemment, à la
reconnaissance effective d'un juste objectif, si réduite en puisse être la portée89.
Je sais bien, que les plus avisés d'entre eux prétendront ici se défendre de
toute contradiction, en proclamant la justice absolue, qu'ils maintiennent, objet
de pure croyance, devant rester absolument exclu de l'horizon scientifique90. - N'y
a-t-il pas, là-dessous, une équivoque bien trompeuse, et n'a-t-on pas complètement dénaturé l'opposition de science et de croyance, à laquelle on a recours ?
Qu'est-ce donc en définitive que la croyance, telle qu'on l'envisage (en dehors de
la foi religieuse, qui a ses conditions spéciales d'existence)91, sinon un mode particulier, et amoindri, peut-être92, mais dans son intensité seulement, de la certitude ?
Et, qu'est-ce, d'autre part, que la science proprement dite, sinon un mode, plus
parfait peut-être, de la même certitude ?93 - En d'autres termes, et si nous négligeons les mots, pour mieux envisager les choses, ne devons-nous pas dire, que la,
vérité totale, objet nécessaire de nos recherches, s'obtient, - tantôt, par des procédés déterminant une conviction plus ferme, plus irrésistible, et c est ce que nous
appelons science94, - tantôt, par une voie moins lumineuse, quoique non moins
sûre peut-être dans ses résultats, et c'est, dans notre terminologie actuelle, la
croyance. Qu'en cette dernière, notre intelligence trouve une satisfaction moins
profonde, que, pour la mettre en œuvre, lu raison pure doive avouer son impuissance95, tout au moins s'aider du sentiment96, ou, plus exactement, à mon gré,
modifier le processus normal de ses opérations, en laissant la plus large part à
cette forme de son activité, qu'on appelle la conscience morale, c'est ce qu'on peut
reconnaître, sans pourtant autoriser une discipline, tout entière dirigée vers ta
89. Voy., sur le passage précité (t. II, p. 97, note 3), des Eléments de droit romain, de G. May, les
fines observations de G. Gavet, dans Annales de l'Est, 1889, t. III, p. 198 ; - et, sur les idées analogues
de J. G.  Courcelle-Seneuil : Ch.  Beudant, Le droit individuel et l'État, 1891, p.  34-35. -
Cpr.  E.  I. Bekker, faisant lui-même sa confession, sous ce rapport, dans Zeitschrift der Savigny-Stiftung, R. A., 1885, t. VI, p. 87-88.
90. Cpr. E. I. Bekker, Ernst and Scherz, 1892, p. 40.
91. Consultez, sur la foi, du point de vue catholique : R. P. Le Bachelet, S. J., De l'apologétique
traditionnelle et de l'apologétique moderne, dans Études publiées par des Pères de la Cie de Jésus, juillet-Août 1897, t. LXXII, p. 145-174, p. 369-385, p. 453-478.
92. Je dis « peut-être », pour réserver la question de savoir, si la conviction, résultant de la croyance,
ne dépasserait pas, au contraire, en énergie, celle que nous donne la science. Cons. F. Brunetière, Préface
à la traduction française du livre de Balfour, Les bases de la croyance, p. XXXVIII, et surtout : Le besoin
de croire, dans Revue des deux-mondes, n° du 1er décembre 1898, t. CL, p. 708-715.
93. Comp., avec un renversement des termes, J. Payot, De la croyance, 1895, p. 1-10.
94. Encore, faut-il observer, que, suivant sa matière et ses procédés, la science elle-même fournit
des degrés très différents de certitude. Comp. A. Croiset, dans Revue internationale de l'enseignement,
1898, 2°, t. XXXVI, p. 391-392.
95. Sur l'irrationnel, source de connaissance, voy. R. P. Bremond, S. J., M. Brunetière et la psychologie de la foi, dans : Études publiées par des P. P. de la Compagnie de Jésus, n° du 20 mars 1897,
t. LXX de la collection, p. 748763.
96. C'est, à peu près, la thèse, qui est au fond du beau poème de Sully-Prudhomme : La justice.
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