Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 71

LA LIBRE RECHERCHE SCIENTIFIQuE

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Montesquieu. Nul, plus que lui, assurément, n'a fait leur place, aux circonstances
sociales et à tous les éléments de la vie humaine, dans la constitution du droit
positif. Mais, d'abord, il avait posé le principe d'une « raison primitive », d'où
dérivent « des rapports d'équité antérieurs à la loi positive qui les établit »103. Et,
avant de formuler sa doctrine personnelle, d'après laquelle les lois « doivent être
tellement propres au peuple, pour lequel elles sont faites, que c'est un très grand
hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre. Il faut qu'elles se rapportent à la « nature ou au principe du gouvernement... Elles doivent être relatives au physique du pays, au climat... à la qualité du terrain, à sa situation, à sa
grandeur, au genre de vie des peuples... ; elles doivent se rapporter au degré de
liberté que la constitution peut souffrir ; à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs
manières... » il avait proclamé ceci : « La loi, en général, est la raison humaine, en
tant qu'elle gouverne les peuples de la terre ; et les lois politiques et civiles de
chaque nation ne doivent être que des cas particuliers où s'applique cette raison
humaine »104. Et, par là, Montesquieu indiquait bien que cette nature des choses,
d'où il déclarait avoir tiré ses principes105, ne contenait pas seulement des phénomènes, des faits, des contingences, qu'elle impliquait un fondement plus solide,
consistant en œuvre de la raison et en représentation de l'absolue justice106.
Or, voilà bien ce qui doit être absolument maintenu, pour assurer une base
ferme à l'interprétation, s'exerçant dans la sphère de ce que j'ai appelé la libre
recherche scientifique : en dehors et au-dessus de la nature des choses positive,
formée d'éléments matériels et mouvants, une sorte de nature des choses supérieure, toute en principes rationnels et en entités morales immuables107. Et, si cette
justice absolue s'impose d'abord au législateur, elle ne saurait être indifférente au
juge, quand les lacunes des sources positives l'amènent à créer lui-même le droit,
que la loi lui refuse108.
162.  Préciser le contenu de cette justice absolue, et spécifier son rôle dans
tout le domaine du droit positif, excèderait manifestement la visée, purement
103. Esprit des lois, Liv. I, chap. I ; éd. Garnier, p. 4.
104. Esprit des lois, Liv. I, chap. III ; éd. Garnier, p. 8-9 et p. 8.
105. Esprit des lois, Préface : « Je n'ai point tiré mes principes de mes préjugés, mais de ta nature
des choses » ; éd. Garnier, p. I. Cpr. liv. I, chap. I, p. 3-6.
106. Comp. Ch. Beudant, Le Droit individuel et l'État, 1891, p. 32.
107. Ces principes de justice supérieure, révélés par la raison et la conscience, sont reconnus
comme indispensables, dans le domaine du droit international public ; et les Chancelleries n'hésitent
pas à affirmer, sauf à l'oublier parfois, dans leur pratique, la suprématie nécessaire de l'idéal « de droit
et d'équité ». Voy., par ex. : Note du 12/24 août 1898, in fine, remise par le Comte Mouraview aux
représentants des diverses puissances à St-Pétersbourg, dans Revue gén.  de droit intern. Public,
Sept. Oct. 1898. t. V, p. 688, note 2 de p. 687. - Préambule de la Convention pour le règlement pacifique
des conflits internationaux, conclue à la Haye le 29 juillet 1899. - Adde, sur l'influence de la conception
du droit naturel, en droit des gens : K. Bergbohm, Jurisprudenz und Rechtsphilosophie, 1892, p. 352.
Cpr. A. Pillet, Le droit de la guerre, t. I, 1892, p. 8-10. - On s'explique, sans peine, cette prépondérance
de la justice absolue, par la rareté et l'insuffisance, à l'heure actuelle, des sources positives du droit des
gens. Mais, il faut bien convenir, que, par là même qu'elle s'impose dans ce domaine, elle affirme son
existence, qui ne doit pas être oubliée, hors de là, pour combler les lacunes des lois positives.
108. [Cons. J. Charmont, La renaissance du droit naturel, Montpellier et Paris, 1910 ; et, sur cet
ouvrage : A. Tissier, dans Revue critique de législation et de jurisprudence, 1910, nouv. série, t. XXXIX,
p. 184-189. - Adde : G. Bry, De l'idée d'un droit naturel et de son rôle dans la législation positive, dans
Bulletin du Comité des trav. hist. et scient. Section des sciences écon. et sociales (Année 1900), Paris,
1901, p. 97-118, - G. Vanden Bossche, Discours sur la notion et l'interprétation du droit civil positif,
Bruxelles, 1907, p. 6-14, p. 19-20.]
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