Contextes - Le travail dans son droit - 107

UNE « CoNCEPTIoN oFFENSIVE DU DRoIT DU TRAVAIL »

le Rapport Sudreau, rédigée en 1975, est dans doute la meilleure illustration9 : une partie de ce rapport, commandé par Valéry Giscard d'Estaing
à Pierre Sudreau, député centriste extérieur au champ des réformateurs du
travail, a pour objet à « consacrer la place des hommes dans l'entreprise »
ou encore à « actualiser les procédures de solution des conflits du travail »10.
Pour ce faire, il faut reconnaître le syndicat comme partenaire, au niveau
de l'entreprise comme au niveau national. Dans le cadre de la rédaction
du rapport, P. Sudreau a réuni des représentants d'un certain nombre
d'organisations syndicales et patronales, des experts (le professeur de droit
social Jean-Maurice Verdier et le sociologue Jean-Daniel Reynaud) et des
hauts fonctionnaires. Ainsi, s'intéresser à la « réforme de l'entreprise » nécessite de faire discuter et surtout de faire s'accorder les « partenaires sociaux ».
Au-delà du rapport Sudreau, on voit donc émerger, comme au début
du xxe siècle, des figures de hauts fonctionnaires ou de membres du champ
politique que l'on peut qualifier de « réformateurs sociaux » au sens où ils
se spécialisent dans le « social », entendu ici comme lieu de négociation et
de discussion, comme espace de règlement non conflictuel des controverses
par la parole échangée et par le respect des positions des interlocuteurs
respectifs. Cette logique du « dialogue social », pour reprendre un terme qui
naît à cette époque mais se généralise dans les années 2000, est portée par un
certain nombre d'acteurs dont Raymond Soubie (encadré 27, cf. chapitre 4)
ou Pierre Cabanes (cf. encadré 18) sont des figures exemplaires.
Mais bien entendu, cette vision réformatrice de l'activité syndicale a pour effet premier de « déconflictualiser » le monde du travail et
d'enlever aux organisations l'aspect agonistique de leur identité collective. Ces réformateurs s'efforcent ainsi de ramener tous les enjeux liés
au travail et aux relations sociales à la question de la concertation et
à celle de la négociation collective : dans leur esprit, produire du dialogue
permet d'éviter le conflit tout en contribuant à vider les revendications
de leur charge politique. Cette manière de voir le « social », en transformant le rapport de force en un dialogue ou en une concertation, devient
alors un « lieu commun » et l'un des éléments centraux de ce que Luc
Boltanski et Pierre Bourdieu ont appelé l'« idéologie dominante »11. Elle
correspond par ailleurs à l'évolution réformiste d'un des deux syndicats
majeurs en France, la CFDT, qui, de la fin des années 1970 au milieu des
années 1980, se dépolitise, déradicalise ses revendications et se convertit

9. P. Sudreau, La réforme de l'entreprise : rapport, Paris, 10-18, 1975, 254 p.
10. A. Chatriot, « La réforme de l'entreprise », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2012,
no 114, p. 191.
11. P. Bourdieu et L. Boltanski, « La production de l'idéologie dominante », art. cit.

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