Contextes - Le travail dans son droit - 47

LA « LÉGALISATIoN » DU MoNDE DU TRAVAIL

juristes, dans la mesure où il articule souci caritatif envers les classes
populaires, méfiance à l'endroit du libéralisme et volonté de « revendiquer pour des corps intermédiaires la possibilité de constituer des sources
légitimes de création de droit »70. Dans cette perspective, un certain nombre
de professeurs de droit se spécialisent dans la protection juridique des
salariés, à l'image de Raoul Jay, le représentant attitré de la législation
industrielle dans le lieu d'expression officielle du catholicisme social que
sont les Semaines sociales de France71. Une rapide analyse d'un de ses
articles consacré au « contrat collectif de travail », publié en 1907 dans la
Revue d'économie politique (et republié sous la forme d'un ouvrage chez
un éditeur spécialisé dans la publication des auteurs du catholicisme social),
permet de montrer la spécificité de ce courant avant la guerre72. Dans ce
long article, Jay revient sur la création d'un « contrat collectif de travail »,
qui est l'objet de réflexions à la Société d'études législatives et d'un projet
législatif. Comme on l'a vu, la question qui se pose à cette époque est celle
de la possibilité pour la législation industrielle d'aller au-delà du droit
privé et de voir se créer un contrat de travail qui ne relierait plus uniquement un salarié à son employeur, mais un employeur à l'ensemble de ses
salariés, réunis par une appartenance à une organisation syndicale. Ce qui
se joue alors pour Jay est la nécessité de lutter contre la concurrence entre
les ouvriers en maintenant des conditions de travail acceptables pour tout
le monde et en permettant l'établissement de relations entre l'employeur
et un syndicat, représentant de l'ensemble des salariés de l'entreprise.
Au-delà de l'argumentaire utilisé (l'auteur utilise largement les comparaisons internationales avec l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les États-Unis
et l'Italie), l'article résume la position des catholiques sociaux, qui sont à la
fois particulièrement attentifs à la protection des salariés et à la recherche
de corps intermédiaires susceptibles de rendre possible le dépassement des
antagonismes sociaux et la production d'une « paix sociale », voire d'une
« harmonie » entre les parties prenantes.
La dernière partie de l'opuscule a pour objectif de montrer tout l'intérêt
du « contrat collectif de travail » dans la production de ce que l'on appellerait aujourd'hui des « partenaires sociaux : « il n'en est pas moins certain que
le nombre trop restreint des ouvriers syndiqués, les divisions qui opposent
les uns aux autres des syndicats d'opinions diverses, les attitudes prises par
70. Y. Palau, « Les convictions juridiques, un enjeu pour les transformations doctrinales du catholicisme social entre les deux guerres », Revue Française d'Histoire des Idées
Politiques, 2008, n° 28, p. 371.
71. Les Semaines sociales de France sont créées en 1904.
72. R. Jay, Qu'est-ce que le contrat collectif de travail ?, Paris, Bloud & Cie, 1908, 64
p. Pour mémoire, l'ouvrage est publié dans la collection « Questions sociologiques » de
cet éditeur.

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