Contextes - Le travail dans son droit - 51

LA « LÉGALISATIoN » DU MoNDE DU TRAVAIL

B. Une entreprise d'expertise entre administration,
politique et champ académique
C'est ainsi que, au tournant du siècle comme dans l'entre-deux-guerres,
on retrouve, dans un certain nombre de commissions, de comités de rédaction, d'associations, etc., des universitaires, des hauts fonctionnaires et des
hommes politiques, mais aussi parfois des syndicalistes et des patrons,
et parfois des acteurs qui détiennent tous ces rôles à la fois. Catholiques
sociaux comme Arthur Fontaine, Raoul Jay ou Paul Pic, socialistes réformistes comme William oualid, ils peuvent être aussi bien des économistes
que des juristes et défendent, à partir de leur expertise scientifique, administrative ou politique, la nécessité de créer un cadre légal dans le monde
du travail, et en particulier dans les entreprises. on retrouve dans ce monde
qui émerge les mêmes caawractéristiques que celles analysées par Christian
Topalov et ses coauteurs, par exemple concernant le logement, la santé ou
les assurances sociales. Ils parlent à ce propos de « nébuleuse réformatrice ».
Si les questions proprement liées à la protection légale des travailleurs
n'apparaissent qu'en filigrane dans leur ouvrage, il est clair que l'ensemble
de ces acteurs et de ces institutions constituent un autre « secteur », un autre
espace de ce que Christian Topalov appelle le « champ faible » de la réforme.
Les professeurs de législation industrielle sont alors au cœur de cet espace,
d'une part du fait de leur rôle de producteurs de la doctrine, d'autre part
parce qu'ils sont particulièrement bien insérés, en tant qu'experts, dans ces
réseaux qui coproduisent les cadres juridiques de l'intervention étatique
dans le monde du travail.
Les lieux, assez nombreux, où se retrouvent ces réseaux réunissent un
petit nombre de personnes dont il a déjà été question : hauts-fonctionnaires
spécialisés dans la législation du travail, hommes politiques, députés ou
sénateurs spécialisés dans ces questions, universitaires, en particulier les
juristes que nous avons rencontrés, mais aussi des économistes (Charles
Gide, Paul Cauwès...) et des sociologues (François Simiand, Maurice
Halbwachs). Avec d'autres acteurs (en particulier des publicistes et des
professeurs de droit public), ils se retrouvent dans des comités de rédaction de revue, comme Questions pratiques de législation industrielle et
d'économie sociale (que nous avons déjà évoquée) ou la Revue d'économie
politique, dont Raoul Jay est l'un des responsables éditoriaux. Avec des
spécialistes d'autres questions sociales (hygiène et santé publique, urbanisme, logement...), ils participent aussi à des commissions79 ou à des

79. Pour un exemple de commissions, cf. F. Soubiran-Paillet, « Parlement, administrateurs et experts (1900-1914) : Le discours de la compétence », Vingtième Siècle. Revue
d'histoire, 2007, n° 93, p. 151.

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