Contextes - Le travail dans son droit - 66

LE TRAVAIL DANS SoN DRoIT

du Front populaire semble ouvrir une « fenêtre d'opportunité » pour des
ouvriers qui pensaient que, pour la première fois, le pouvoir était de leur
côté3. Le gouvernement, à peine nommé, engage immédiatement des négociations, qui, dès le 8 juin, conduisent à des mesures très significatives pour
le monde du travail : relèvement des salaires, élection de délégués ouvriers
dans les établissements de plus de dix salariés et généralisation des conventions collectives. Quelques jours plus tard, le gouvernement fait voter deux
lois, l'une sur la semaine de 40 heures, l'autre instaurant trois semaines de
congés payés. Mais l'expérience du Front populaire tourne rapidement
court : dès février 1937, Léon Blum annonce une « pause » dans les réformes,
et il démissionne de la présidence du Conseil en juillet de la même année.
Les réformes les plus spectaculaires du Front populaire, qui marqueront
le champ syndical jusqu'en 1981 et même au-delà, renvoient principalement à ce que Jacques Le Goff appelle « la reconnaissance implicite de
la collectivité des salariés en tant qu'entité spécifique au sein même de
l'entreprise »4. Cette reconnaissance prend forme autour de l'institution
des délégués ouvriers, de la généralisation des conventions collectives, mais
aussi l'arbitrage obligatoire dans le cas de conflits sociaux. Cette conception
du travail comme organisation collective s'oppose à la législation industrielle née au début du xxe siècle sous la forme d'une excroissance du droit
civil et en prenant comme base le contrat de travail. Elle se développe tout
au long des années 1920, principalement à partir des conventions collectives signées à partir de 1919 dans de nombreuses entreprises, conventions
qui concernent l'ensemble des salariés d'un établissement, d'une entreprise, d'une branche5. Cette logique nous semble surtout renvoyer au
projet, défendu par une partie de la bourgeoisie progressiste au pouvoir
dans l'entre-deux-guerres, alliée dans les années vingt et au début des
années 1930 avec la CGT devenue antirévolutionnaire6, de proposer des
outils de régulation collective qui rendent possible la rationalisation de
la production dans les usines à travers le dialogue entre employeurs et
ouvriers et la constitution de contrats collectifs qui assurent une forme de
paix sociale, qui deviendra souvent après 1936 une « paix armée »7. Dans
3. A. Prost, « Les grèves de 1936 », in M. Pigenet et D. Tartakowsky (dir.), Histoire
des mouvements sociaux en France, op. cit., p. 404-414.
4. J. Le Goff, Du silence à la parole, op. cit., p. 359.
5. C. Didry, « The Institutional Foundations of "Labor Conventions" in France Between
the Wars », Historical Social Research, 2015, vol. 40 (1), p. 42-61.
6. En 1921-1022, en effet, la scission de la CGT conduit à l'émergence de deux organisations syndicales : d'une part la CGTU, qui reste révolutionnaire et se rapproche du Parti
communiste ; l'autre part la CGT, dite « maintenue » qui devient très modérée dans ses
revendications.
7. C. Didry, « La convention collective en 1936, les deux registres d'une institution légale
dans les conflits sociaux du Front populaire », Cahiers de l'institut régional du travail,
2001, no 9, p. 149.

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