Contextes - Le travail dans son droit - 85

LE DRoIT DU TRAVAIL

de ce domaine du droit dont les clivages idéologiques et politiques ne
remettent pas en cause l'unité, pour ne pas dire qu'ils la nourrissent42.
Mais les deux manuels ont une autre proximité, que les auteurs défendent
globalement de la même manière, et qui renvoie à ce que l'on pourrait
appeler des profits d'hétéronomie, en entendant par là le fait de valoriser
la discipline en voie d'institutionnalisation par l'intermédiaire de son
influence hors de l'université. Il s'agit de renvoyer à la centralité du droit
du travail dans la société actuelle, centralité qui est due à la place croissante
occupée par les questions du travail, du syndicalisme et du mouvement
social. Les deux manuels présentent très clairement cette valorisation « par
le dehors », pourrait-on dire :
Manuel de Jean Rivero et Jean Savatier : « Cette promotion [du droit
du travail réalisée par la loi de 1954 sur la licence de droit] s'imposait de
façon si évidente qu'il semble superflu de la souligner ; qu'un licencié en
droit pût tout ignorer du syndicalisme ou de la convention collective,
c'était un paradoxe qui ne pouvait durer plus longtemps ; du point de vue
pratique, il n'est aucune carrière juridique qui ne mette celui qui s'y engage
en présence de problèmes relevant du droit du travail ; du point de vue théorique, l'originalité et le rayonnement de cette discipline sont tels qu'il ne
saurait être, sans elle, de culture juridique complète. » (Avertissement, p. V).
Manuel de Gérard Lyon-Caen : « plus d'un siècle s'est écoulé depuis
que sont apparues les premières lois ouvrières. Une législation complexe et
volumineuse a vu progressivement le jour dont il est nécessaire de dégager
les principes directeurs. Moins encore que toute autre branche du droit,
le droit du travail se laisse ramener à une pure technique : se formant au
travers des luttes sociales, il subit directement l'influence des conditions
économiques et reflète les grands courants d'idées. » (GLC, p. 5)

La consécration d'une discipline passe ainsi par des voies qui peuvent
paraître contradictoires, mais qui peuvent aussi être pensées comme dialectiques, dans la mesure où, on le rappellera, les disciplines juridiques doivent
en réalité leur force au sein du champ académique à leur influence hors des
facultés, au contraire par exemple des lettres ou des sciences humaines43. Ce
paradoxe apparent, qui se retrouve dans les facultés de médecine, permet
42. Christian Topalov montre ainsi, à l'occasion de son étude sur les usages du label
« école de Chicago », la fonction des « traditions imaginées », qui « résultent de processus
de sélection du prédécesseur qui prélèvent dans le passé de la discipline les ressources
considérées comme pertinentes pour une action dans son présent. Elles visent à chaque fois
à consolider ou à réorganiser un champ disciplinaire ou de spécialité, de façon à donner
aux concurrences savantes une signification qui conforte symboliquement les positions des
initiateurs de l'action. » : C. Topalov, « Les usages stratégiques de l'histoire des disciplines.
Le cas de "l'école de Chicago" en sociologie », in J. Heibronn, R. Lenoir et G. Sapirao
(dir.), Pour une histoire des sciences sociales, Paris, Fayard, 2004, p. 127-128.
43. P. Bourdieu, Homo academicus, op. cit., p. 70-71.

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