Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 101

LA SOCIÉTÉ DES PRINCES ET LE DROIT DES GENS

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à la couronne de France61. Pour empêcher la domination française par une
union future des couronnes de France et d'Espagne, les Anglais réussirent
à imposer une condition préalable et essentielle. Jamais les héritiers de
Philippe d'Anjou ne pourraient succéder en France. Inversement, ni le duc
d'Orléans62 - le futur régent -, ni la lignée du duc de Berry - qui meurt en
1714 - ne peuvent prétendre à la couronne d'Espagne.
Pendant les négociations, Lord Bolingbroke (1678-1751), figure de proue
du parti Tory, avait fortement insisté sur l'obtention d'une séparation des
deux couronnes, et ce par un serment, devant les Cortes de Castille et le
parlement de Paris et confirmé dans un traité international. Le secrétaire
d'État français avait proposé une solution par traité, où Philippe v s'engagerait à se défaire des couronnes d'Espagne en cas de vacance de celle de
France, laissant la place à la maison de Savoie63. Bolingbroke et la reine
Anne refusèrent, préférant une renonciation à effet immédiat64. Dans ce
cas de figure, Louis XIv refusa de laisser rentrer son petit-fils immédiatement en France, en attendant une succession qui ne serait peut-être jamais
vacante, vu la présence du jeune Louis Xv, son neveu. Sans la couronne
d'Espagne, Philippe d'Anjou se serait retrouvé comme deuxième en ligne
pour le trône de France, derrière le futur Louis Xv, vu le décès de son
frère aîné, le duc de Bourgogne, et du premier fils de ce dernier, le duc de
Bretagne65. Rester roi d'Espagne signifiait abandonner ces droits à jamais.
Colbert de Torcy l'ayant prévenu qu'une renonciation de cette sorte
serait « nulle » en droit français, la plupart des historiens (du droit) considèrent la renonciation comme inexistante et allant contre l'exigence
fondamentale de la continuité de l'État :
« Le prince le plus proche de la Couronne en est héritier nécessaire. C'est
un patrimoine qu'il ne reçoit, ni du roi son prédécesseur, ni du peuple, mais
61. Art. II, « Traité de paix et d'amitié entre la reine Anne de Grande-Bretagne et le
duc d'Anjou Philippe comme roi d'Espagne », Utrecht, 2-13 juillet 1713, CUD, vIII/1,
n° CLXIv, p. 394. Pour les autres expressions : « Traité de paix et d'amitié entre Louis XIv
et victor Amédée II de Savoye », Utrecht, 11 avril 1713, CUD vIII/1, p. 363, art. vI : « Le
Roi Très-Chrétien consent pareillement, & veut, que la reconnoissance, & la déclaration du
Roi d'Espagne [...] fasse & soit tenue pour une partie essentielle de ce Traité » ; Traité de paix
et d'amitié entre Louis XIv et la reine Anne de Grande-Bretagne, Utrecht, 11 avril 1713,
CUD vIII/1, n° CLI, p. 340, art. vI.
62. Orléans aurait pu prétendre à cette couronne selon Torcy : Philippe v avait désigné les
héritiers de son arrière-grand-mère Anne d'Autriche après ceux de sa grand-mère, MarieThérèse. A. Legrelle, La diplomatie française, op. cit., t. Iv, p. 664.
63. A. Legrelle, La diplomatie française, op. cit., t. Iv, p. 666. En échange, les possessions
de la maison de Savoie reviendraient à Philippe v devenu roi de France.
64. Louis XIv à Bonnac, versailles, 18 mai 1712, AMAE, CP, Espagne, 214, ff. 19-22,
publié chez A. Legrelle, La diplomatie française, op. cit., t. Iv, p. 668.
65. O. Chaline, L'année des quatre dauphins, Paris, Flammarion, 2009.
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