Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 12

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PROLÉGOMèNES

rique. Les juristes paraissent quant à eux estimer à l'inverse qu'une science
auxiliaire du droit est nécessairement para-juridique. Dans la théorie pure
de Kelsen, seules les normes en vigueur sont en effet l'objet de la science du
droit qui en assure une description objective ; l'histoire du droit demeure
quant à elle une science sans objet juridique6 - autrement dit impure -
s'intéressant exclusivement à des faits ou à des phénomènes parallèles à
l'élaboration de la norme.
Il est certain que, dans sa fonction éminemment rétrospective, l'histoire
du droit demeure une science historique. Elle est donc plus descriptive
que constructive, plus phénoménologique que logique. Comme le relevait
Georg Simmel à l'aube du xxe siècle, l'historien doit s'attacher à l'objectivité
accessible7. L'historien du droit se livre quant à lui à une description d'un
droit qui fut positif ainsi que des modes de création et d'abrogation de ce
droit, outre la production doctrinale qui l'entoure et son application par
les praticiens.
Le métier d'historien en général, et celui d'historien du droit en particulier, ne peut cependant se résumer à ce travail exclusivement rétrospectif
et désintéressé. L'histoire du droit, qui se sent perpétuellement en état
de crise, porte en effet l'empreinte d'une ambivalence méthodologique8.
Cette ambivalence est liée, bien entendu, à l'objet d'étude des historiens
du droit. La recherche en histoire du droit subit inévitablement l'attraction
du droit auquel cette recherche s'applique. Le doyen Carbonnier formulait
une remarque comparable à propos des comparatistes qui peinent à
s'évader de leur droit9. L'ethnocentrisme du comparatiste n'a d'égal que
le chronocentrisme du juriste-historien. Outre l'attraction de l'objet, cette
ambivalence paraît liée à la formation des historiens des facultés de droit
6. H. Kelsen, La théorie pure du droit, trad. C. Eisenmann, Paris-Bruxelles, LGDJBruylant, 1999, p. 73 s. ; sur la Théorie pure du droit v. C. Grzegorczyk, F. Michaut
et M. Troper, Le positivisme juridique, Paris - Bruxelles, LGDJ - Story-Scientia, 1992,
p. 264, ainsi que M. Troper, Pour une théorie juridique de l'État, Paris, PUF, 1994, p. 45-55.
Jean-Louis Halpérin fait quant à lui du « normativisme kelsénien » un véritable défi pour
l'histoire du droit qui se veut fidèle aux enseignements de Savigny (J.-L. Halpérin, « Le
recul de l'École historique du droit ou le déclin de la méthode savignicienne », Annuaire
de l'Institut Michel Villey, t. 1, 2009, p. 110-111 et, du même auteur, « De quelques difficultés kelséniennes pour l'histoire du droit », in P. Brunet, v. Champeil-Desplats et
É. Millard (dir.), Architecture du droit. Mélanges en l'honneur de Michel Troper, Paris,
Economica, 2006, p. 477-486).
7. G. Simmel, Die Probleme der Geschichtsphilosophie (Leipzig, Duncker, 1892), trad.
P. Boudon, Les problèmes de la philosophie de l'histoire, Paris, PUF, 1984, cité par R. Aron,
Introduction à la philosophie de l'histoire, Paris, Gallimard, 1986, p. 53-54.
8. J.-L. Halpérin, « L'histoire du droit constituée en discipline : consécration ou repli
identitaire ? », Revue d'histoire des sciences humaines, t. 4, 2001 [La science juridique entre
politique et sciences humaines (xixe-xxe siècles)], p. 9.
9. J. Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, PUF, 2004, p. 20.
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