Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 146

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LA NORMATIvITÉ

entre le droit et le non-droit mais elle ouvre sur la nécessité de le faire, c'està-dire sur la nécessité pragmatique d'instituer le droit par ses frontières.
Cette difficulté souligne l'écart qui demeure entre certaines élaborations médiévales et la construction d'un droit positif autonome. Toutefois,
redisons-le, la question n'est que relative. Elle se retrouve dans l'absence
d'autonomie des juridictions et des normes concurrentes. Les juristes du
Moyen Âge inscrivent l'ensemble dans un ordre global du droit, déterminé
en principe par la justice. En pratique, aucune frontière n'est posée. Il n'y
a à proprement parler qu'un monisme universel mais hétérogène106 que les
juristes s'emploient à ordonner. C'est au contraire l'élaboration des ordres
juridiques autonomes qui conduit à une juxtaposition d'ordres concurrents
et impose les débats des xve-xviie siècles. La pluralisation est corrélative de
l'autonomisation. Avant cela, les ordres juridiques se construisent peu à
peu, à mesure que les conditions de juridicité sont précisées.
Or la transformation de celles-ci résulte bien moins de grandes théories
englobantes que de l'affirmation de dispositifs techniques. Très tôt
l'ébauche de conditions de validité se dessine à travers un travail sur les
formes juridiques, conditions d'objectivité des normes. Ces normes, en
effet, ne sont jamais prises en tant que telles. Elles sont peu à peu filtrées
et modelées par un ensemble de règles et de procédures précises. On peut
en prendre trois exemples107.
L'authenticité est une question ancienne qui est totalement renouvelée
aux xie-xiie siècles sans que la question ne soit encore parfaitement réglée
aujourd'hui (il suffit de songer aux ajustements exigés par Internet). Elle est
renouvelée et, pour ainsi dire, « inventée » en ce que se développe alors un
ensemble de procédés matériels et intellectuels de construction de l'authenticité. Celle-ci procédera dès lors tant de signes matériels et du respect de
canons d'écriture (substantiels et formels) que de l'organisation de procédures d'authentification par des personnes ou des institutions autorisées,
i. e. habilitées à le faire108. L'authenticité ne s'impose pas comme une norme
106. Cette hétérogénéité n'est pas le propre du droit médiéval. Elle y est simplement plus
visible. Elle se retrouve, en droit contemporain, dans la dialectique de l'ordre et du désordre
soulignée par R. Libchaber, op. cit., p. 416-421.
107. Nous avons choisi trois exemples très généraux. Ils peuvent être déclinés en une
multitude de cas plus particuliers : preuve de la coutume, valeur (ou autorité) du témoignage,
enseignement et statut du droit romain, développement des voies de recours, statut des
agents et des juridictions, pouvoirs urbains ou seigneuriaux ou distinction des procédures
et agents ordinaires ou extraordinaires, pour ne prendre que quelques exemples connus
mais dont l'exploration est loin d'être achevée.
108. Fr. Roumy, « Les origines canoniques de la notion moderne d'acte authentique ou
public », Der Einfluss der Kanonistik auf die europäische Rechtskultur, Bd. 2. Öffentliches
Recht, Fr. Roumy, M. Schmoeckel, O. Condorelli (Hg.), Cologne-Weimar-vienne,
Böhlau verlag, coll. « Norm und Struktur », 37/2, 2011, p. 333-360 ; id., « De la confirmation

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