Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 19

LA TEMPORALITÉ MULTIPLE DES FORMES JURIDIqUES

de Naples6. Dans son Histoire du droit romain au Moyen Âge, Savigny
avait attribué cette intégration à Jacques de Révigny et Raymond Lulle.
Il n'y voyait guère qu'un phénomène de surface, signant le déclin de la
science juridique médiévale. Le jus commune n'aurait de fait absorbé la
dialectique que pour « étouffer l'indépendance du talent par la régularité de
formes adoptées généralement »7. L'un dans l'autre, la méthode dialectique
ne devait rester, pour le droit savant médiéval, qu'un épiphénomène tardif,
impropre à entamer la nature profonde ni surtout l'autonomie de l'exégèse
des compilations romano-canoniques.
Si l'on se situe maintenant du côté des « métaconcepts » chers à Michel
Troper, il faut remarquer à l'inverse la faible disposition des philosophes
à sonder l'évolution historique des ordres juridiques - à plus forte raison
de l'ordre juridique médiéval. L'indifférence à l'histoire semble même
en ce domaine si répandue que Nicola Lacey reprochait récemment à la
profession son « amnésie disciplinaire ». D'après la théoricienne britannique, l'histoire de la pensée juridique aurait subi une « marginalisation
décisive et durable ». Cela serait le fait « d'une théorie analytique du droit
qui n'a que faire de la généalogie du droit, ni de la sienne propre » (an
analytical jurisprudence which has no use for a careful analysis of either
its own or law's genealogy)8. Cette « amnésie » disciplinaire se présente
schématiquement sous deux formes.
Du côté des philosophes stricto sensu, elle remonte à la dichotomie
cardinale que le kantisme avait établie, entre deux types de connaissance
du droit : d'un côté la connaissance historique, qui est une connaissance des
normes particulières de droit positif (cognitio ex datis) ; de l'autre côté la
connaissance rationnelle, définie comme une connaissance universelle qui
procède par principes (cognitio ex principis). Au vu d'une telle distinction,
toute connaissance d'une norme positive relève de l'histoire, en tant qu'elle
suppose d'accéder à la considération d'une norme « donnée de l'extérieur ».
C'est le sens large et classique du mot « histoire », que Kant définit en ces
termes dans l'architectonique de la raison pure : « Une connaissance est
historique (historisch) chez celui qui la possède, quand il ne connaît rien que
dans la mesure où cela lui est donné d'ailleurs (als ihm anderwärts gegeben

6. E. Cortese, Il diritto nella storia medievale, Rome, Il Cigno Galileo Galilei, 1998,
t. II, p. 411.
7. F.-C. von Savigny, Geschichte des Römischen Rechts im Mittelalter, Heidelberg, Mohl
und Zimmer, 1815-1831 ; Histoire du droit romain au Moyen Âge, trad. C. Guenoux, Paris,
Charles Hingray, 1839, t. Iv, p. 191 et s.
8. N. Lacey, « Jurisprudence, History, and the Institutional quality of Law », Virginia
Law Review, t. 101 (4), 2015, p. 919-945, spéc. p. 920.

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