Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 193

LA DISTINCTION THÉORIqUE

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nous paraît relativement fructueuse pour expliquer la transformation ou
l'absence de transformation de certaines structures politiques (royaumes,
mais aussi duchés ou comtés d'Allemagne ou d'Italie, républiques
comme venise et Gênes, cantons suisses) en États modernes au xvie et au
xviie siècle. Il reste des situations où la faible centralisation du pouvoir
contraste avec une puissance étatique (militaire et financière) incontestable. L'exemple-type est celui des Provinces-Unies, une confédération
lâche, dépourvue de constitution formelle, dans laquelle il est difficile de
parler d'un exercice fréquent du pouvoir législatif (ou même judiciaire)
par les organes des États généraux. Il n'y avait à proprement parler ni
cour fédérale, ni droit fédéral, chaque province ayant son propre droit.
Pourtant, parmi les quelques lois communes votées par l'Assemblée des
états généraux figurent les chartes des compagnies des Indes orientales
(1602) et occidentales (1621)44. La projection coloniale, qui soumet des
territoires extra-européens au droit de la métropole et entraîne avec elle
une hiérarchie entre statuts métropolitains et sous-statuts coloniaux, ne
serait-elle pas aussi une des marques possibles (même si elle n'est pas
présente dans toutes les situations) de l'État moderne45 ? Ce dernier ne
serait-il pas caractérisé par l'emprise d'une hiérarchie des normes sur des
territoires divers, mais tous dominés par la même puissance centralisée
(qu'elle soit monarchique ou républicaine) ? Dans le cas de la Prusse, de
la Russie ou de la monarchie des Habsbourg, le passage à l'État moderne
au xviiie siècle ne serait pas liée à la colonisation de territoires outre-mer,
mais à une expansion territoriale posant la question de la soumission à
des lois communes d'états jusque-là séparés (on songe par exemple aux
liens entre le développement de la législation prussienne et l'intégration
des territoires issus des partages de la Pologne).
Le raisonnement en termes de « règles constitutives » peut soutenir une
telle démarche. L'État médiéval, que l'on pourrait qualifier de pré-moderne
(ou d'État de justice), reposerait sur des règles constitutives donnant au
pouvoir centralisé (du roi, d'un prince territorial ou du pape) le contrôle,
à travers la justice (et la procédure d'appel), des règles secondaires de
reconnaissance, de changement et de d'adjudication. Il laisserait subsister
en son sein des structures décentralisées (les principautés territoriales, les
églises, les communautés de métiers et d'habitants) disposant d'une forme
d'autonomie pour leurs propres normes et brouillant la carte des frontières
territoriales et matérielles de l'État. L'État moderne se fonderait sur de
44. J.-L. Price, The Dutch Republic in the seventeenth century, London, Macmillan,
1998 ; J. Israel, The Dutch Republic : its rise, greatness and fall 1477-1806, Oxford,
Clarendon Press, 1995.
45. L. Benton, A Search for Sovereignty. Law and Geography in European Empires
1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

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