Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 195

LA DISTINCTION THÉORIqUE

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généralement, la recherche des évolutions des règles secondaires de
changement et d'adjudication conduit à une prise en compte des transformations des professions juridiques, de l'enseignement du droit et des
conceptions intellectuelles qui peuvent expliquer ces évolutions.
En dernier lieu, cette hypothèse permet de réfléchir sur une autre
distinction, celle qui ferait le départ entre des bouleversements complets
des règles constitutives, autrement dit des révolutions juridiques, et
des inflexions notables d'une ou plusieurs des règles secondaires qui
pourraient être qualifiées de « nouvelles configurations » d'un niveau
inférieur aux révolutions juridiques. Nous en citerons deux exemples.
Le premier qui concerne la France est celui des transformations importantes apportées par Louis XIv à l'ordre juridique français : le déclin du
pouvoir du chancelier et des officiers au profit du Conseil du roi, du
contrôleur général des finances et des intendants (ce que Michel Antoine
a appelé le passage de la monarchie judiciaire à la monarchie administrative48), la codification du droit procédural, l'expansion coloniale, le
contrôle accru de la formation des juristes (à travers l'édit de 1679) et des
professions judiciaires (à travers la tolérance marquée à l'égard de l'Ordre
des avocats au Parlement de Paris en voie de formation). Pour autant, ces
transformations ne sont pas du même ordre que le passage antérieur à
l'État moderne ou que l'avènement du constitutionnalisme moderne par
la rupture postérieure de la Révolution moderne. Ne peut-on pas alors
parler, à propos de ces inflexions apportées au contenu d'une partie des
règles secondaires (les règles d'adjudication et dans une moindre mesure
les règles de changement et de reconnaissance) d'une nouvelle configuration sans révolution juridique ?
Le second exemple implique à un certain degré le royaume de France
mais aussi, et parfois de manière plus sensible, la Prusse ou les États italiens.
Il s'agit des politiques législatives visant à soumettre les juges à un strict
respect des lois et conduisant à des codifications censées réduire à néant
l'arbitraire judiciaire. Là aussi la règle d'adjudication voit son contenu
sensiblement modifié, une nouvelle configuration apparaît (renforcée en
Prusse par la mainmise de l'État sur les avocats comme sur les juges), mais
les règles constitutives ne sont pas changées dans leur totalité.
On aura compris que la distinction théorique entre règles constitutives
et règles contingentes est un moyen heuristique parmi d'autres d'aider
les historiens du droit à faire leur travail. L'analyse des transformations
apportées aux règles de droit à travers le temps est un travail qui conduit
souvent (sinon nécessairement) à qualifier, découper, classer, hiérarchiser
ces changements selon une échelle qui va des mutations mineures les plus
48. M. Antoine, Le Conseil du Roi sous le règne de Louis XV, Genève-Paris, Droz, 1970.
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