Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 20

PROLÉGOMèNES

worden) et rien de plus que ce qui lui a été donné »9. Surimposée à la théorie
des sources juridiques (fontes iuris), la théorie des sources de la connaissance (fontes cognitionis) avait de fait redoublé la distinction classique
des lois immuables et des lois arbitraires, pour borner aux premières le
champ d'étude du philosophe10. Si le raisonnement du juriste comporte
nécessairement un élément historique, dans la mesure où il doit prendre
acte de normes effectivement consignées dans un code, commandées par
le souverain, énoncées par le juge etc. ; le philosophe ne prend des idées
juridiques qu'une connaissance rationnelle, excluant toute considération
des normes positives. Au fond cette ligne de pensée oriente encore le type
de jusnaturalisme que cultivent les philosophes de l'école de Francfort,
dont il semble que les rapports avec les historiens du droit - à commencer
par ceux du Max Planck Institut für europaïsche Rechtsgeschichte - soient
restés sporadiques.
Du côté des juristes, l'école positiviste a bien accordé un rôle central à la
prise en compte de l'histoire même, mais ce rôle est resté tout à fait congru.
Chez Kelsen, l'histoire intervient crucialement au fondement de l'établissement souverain d'un ordre juridique, c'est-à-dire d'un État, mais c'est
pour s'éclipser aussitôt à l'arrière-plan du travail descriptif qui occupera
dès lors exclusivement le théoricien des normes. Ce travail descriptif reste
bien « historique » au sens large de Kant et de la tradition classique, c'està-dire au sens où il s'attache à la description de normes qui apparaissent
essentiellement comme des faits positifs. Mais il n'est pas spontanément
historien, au sens d'une enquête documentée sur l'origine et le développement des ordres juridiques singuliers.

II - CASUISTIQUE ET DOGMATIQUE
voilà donc deux raisons, me semble-t-il, de nous réjouir du choix des
organisateurs de cette rencontre. La question de l'existence d'un ordre
juridique médiéval revêt le double intérêt d'inviter le juriste à poser
à nouveaux frais la question des limites de la « vraie philosophie » -
marchandise étrangère ou ressource incontournable - tout en amenant
le théoricien à revenir sur les conditions historiques de son propre effort.
Or il est sans doute une grande variété de manières de relever l'invitation.
9. E. Kant, Kritik der reinen Vernunft, Meiner verlag, 2010, AA, B 864, p. 863 ; trad.
J. Barni, Paris, Folio Essais, 1990, p. 693.
10. Ce point est exposé dans l'ouvrage tiré de ma thèse de doctorat, Le Monde sur mesure.
Une archéologie juridique des faits, à paraître chez Classiques Garnier dans la Bibliothèque
de pensée juridique et dirigée par Olivier Beaud et Jean-François Kervégan.

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