Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 223

LA CONTROvERSE vILLEY-TIERNEY

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droit naturel s'est en effet développée avant saint Thomas38. Ce dernier
aurait plutôt été un tremplin qui permit de passer de saint Augustin à
Machiavel, Hobbes, Locke, même si, entre les deux moments il faudrait
ajouter les écrits de nombreux juristes médiévaux39, ce qui remet en cause
la périodisation historique du droit jusque-là habituellement acceptée40.
Selon Tierney, le fait de ne pas rencontrer la notion de « droit subjectif »
chez saint Thomas41 ne signifie pas que la notion ne fût pas pour autant
médiévale, car saint Thomas a très bien pu choisir de ne pas l'intégrer à sa
propre synthèse42.
S'il en est ainsi, villey se méprendrait donc sur la nouveauté introduite
par Ockham. Ce dernier aurait certes été une figure importante dans le
développement des théories du droit naturel. Toutefois, ses enseignements
caractéristiques ne proviendraient pas de sa philosophie nominaliste et
volontariste, mais plutôt d'une éthique rationaliste, appliquée au corps de
la doctrine juridique disponible dans les collections de droit canonique,
qu'il citait par ailleurs fréquemment dans la controverse sur la pauvreté

38. « villey, Ockham and the Origins of Individual Rights », loc. cit., p. 27.
39. « Origins of Natural Rights Language », loc. cit., p. 45 ; « Natural Law and Natural
Rights », loc. cit., p. 406. Tierney fait référence à un autre article : « Hierarchy, Consent, and
the "Western Tradition" », Political Theory, 1987, vol. 15, p. 646-652.
40. « Origins of Natural Rights Language », loc. cit., p. 45 : « Habermas and De Lagarde
both drew a contrast between the modern doctrine of natural rights and the thought of
Thomas Aquinas, in whose work the older tradition of natural law found a classical expression. This observation, a commonplace in much recent writing on natural law theories, is
true enough so far as it goes; but it has led to a radical error of periodization in most modern
writing on the history of natural rights, John Finnis observed that, since there is no doctrine
of subjective rights in Aquinas and there is such a doctrine in Suarez, a ''watershed'' must
be situated somewhere between the thirteenth century and the seventeenth ». L'auteur se
réfère aux opinions exprimées in J. Habermas, Theory and Practice, Boston, Beacon Press,
1974 ; G. de Lagarde, La naissance de l'esprit laïque au déclin du Moyen Âge, Paris, PUF,
1942, liv. 6, p. 122 et 157 ; J. Finnis, Natural Law and Natural Rights, op. cit., p. 206-207.
41. voir J. Finnis, « Aquinas on ius and Hart on Rights: A Response to Tierney », The
Review of Politics, 2002, vol. 64, p. 407-410. Sur ce point, Finnis accuse Tierney de rester
prisonnier de l'opinion de villey à propos de l'incompatibilité entre droit objectif et droit
subjectif. Finnis souligne que la notion de subjectivité n'est pas absente de l'analyse thomasienne, en particulier parce que ce dernier est attentif à l'intersubjectivité du droit. Mais
dans sa critique, Finnis semble indûment annexer l'intersubjectivité au droit subjectif, alors
qu'elle est aussi une caractéristique du droit objectif. G. Demelemestre souligne aussi que
Finnis ne se réfère pas à la même notion de droit que villey : « La réception de l'interprétation française », loc. cit., p. 402.
42. « Origins of Natural Rights Language », loc. cit., p. 45. « Another explanation is
possible. It may be that a juristic, distinctively non-Aristotelian theory of natural rights
had grown up before Aquinas, that Aquinas did not choose to assimilate such ideas into
his Christian-Aristotelian synthesis, but that they did enter the mainstream of Western
political thought through other channels. This is the thesis I want to explore ».

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