Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 235

LA CONTROvERSE vILLEY-TIERNEY

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typiques de ceux qui veulent trouver l'origine des théories modernes du
droit dans certains aspects de la vie religieuse, économique ou intellectuelle.
Par conséquent, pour aller plus loin dans la recherche des origines, Tierney
élargit le concept recherché, sans pour autant le dénaturer. D'une certaine
manière, il intègre les intuitions de villey, tout en les dépassant : villey
avait eu lui aussi une vision plus large en situant l'origine du droit subjectif
moderne dans la philosophie volontariste et nominaliste d'Ockham, qui
avait préféré le pouvoir et l'individu à la raison et aux universaux. On
pourrait encore remonter plus loin, suggère Tierney, et trouver par exemple
chez Jean Gerson une définition du ius comme une faculté ou un pouvoir
d'agir justement selon la droite raison et la conscience87. Certes, cela ne
correspond pas à ce que nous comprenons aujourd'hui par droit naturel,
mais Gerson précisait qu'il était possible d'en déduire toute une théorie
du gouvernement et de la propriété.
Par conséquent, dit Tierney, si on veut trouver une origine plus précoce
à la théorie des droits naturels, il faut rechercher des modèles de langage
dans lesquels « ius naturale » signifie non seulement « loi naturelle » ou
« harmonie cosmique », mais aussi « pouvoir de personnes individuelles »,
qui, en accord avec la droite raison et le discernement moral, définissent
un espace de liberté, dans lequel l'individu peut revendiquer des pouvoirs
du simple fait d'être un homme88. Un tel réseau linguistique et conceptuel
serait né dans les ouvrages des décrétistes médiévaux. Certes, Tierney est
bien conscient que l'on ne pourra trouver chez eux des traités explicites
sur les droits individuels, et qu'il faudra reconstruire leur pensée à partir
de gloses, souvent laconiques sur des sujets variés. Mais, une fois ces traces
repérées, le lien entre les décrétistes et les auteurs postérieurs pourra ensuite
être établi sans difficulté, puisque l'influence des décrétistes sur les auteurs
médiévaux n'est plus à démontrer89.
Or, souligne Tierney, le xii e siècle était précisément « saturé de
droits ». La vie politique y est caractérisée par une lutte entre les sphères
d'influence du pape et de l'empereur, la transformation de la société met
aux prises les droits féodaux à de nouveaux droits, les chanoines affirment
leurs droits contre les évêques, les évêques et les barons défendent leurs
droits contre les rois, les nouvelles communes achètent leurs droits ou
luttent pour les obtenir90. Ainsi, la question n'est pas tant de savoir si
le xiie siècle « découvrit » les droits individuels ; il suffit de constater que
87. Ibid., p. 53. Tierney reprend les analyses de R. Tuck, Medieval Natural Rights
Theories: Their Origins and Development, Cambridge, 1979, p. 25-26.
88. Tierney prolonge cette idée dans Liberty and Law, op. cit. où il explore la notion de
« droit naturel permissif ».
89. B. Tierney, « Origins of Natural Rights Language », loc. cit., p. 54.
90. Ibid., p. 55.

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