Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 35

PEUT-ON PARLER D'« ORDRE JURIDIqUE MÉDIÉvAL » ?

héritée des empereurs romains mais plutôt comme une ratio scripta, c'està-dire comme la manifestation d'une rationalité juridique transcendant les
époques et les territoires24. Par ailleurs, l'existence d'un droit canonique
qui transcende les frontières politiques donne corps à cette idée d'une res
publica christiana, une institution transcendant les souverainetés étatiques.
Le principe d'unité de l'ordine giuridico medievale réside donc dans la
prégnance de cet héritage spirituel sur le Moyen Âge classique, et non sur
une structure étatique fondant l'autorité de la norme. Paolo Grossi est
séduit par la pensée de Santi Romano touchant aux notions d'institution
et de pluralisme juridiques caractéristiques de sa réflexion. À la complexité
politique et sociale du Moyen Âge, répond une complexité des rapports
de droit entre les individus, les universitates et les autorités souveraines
princières. Ce « gioco di rapporti fra ordinamenti »25 est organisé selon des
règles de primauté, de délimitations territoriales ou fonctionnelles héritières
de la tradition ou de réalités parfaitement contingentes. La notion d'institution permet au professeur Grossi de rendre compte de cette concomitance
entre la création quasi spontanée des universitates et le mode massivement
coutumier ou conventionnel de création du droit. Le tout dominé par la
suzeraineté intellectuelle assumée par les leges sacratissimæ. Cette réalité
du pluralisme juridique constitue un des points saillants de l'expérience
juridique médiévale que l'auteur cherche à mettre en valeur.
Par petites touches successives, il semble bien que Paolo Grossi cherche
à adapter à la doctrine de Santi Romano, la notion d'ordo forgée par la
scolastique médiévale. Pour preuve, le professeur Grossi met en exergue
de son opus quelques vers du divin Dante, vers tirés du chant premier du
Paradis (1. 103), où Béatrice objurgue son amant à poser un regard emprunt
de sagesse sur le monde :
Le cose tutte quante
hanno ordine tra loro, e questo è forma
che l'universo a Dio fa simigliante.

Ces vers nous semblent devoir être compris dans un sens aristotélicien,
compte tenu de l'ascendant intellectuel exercé par le Stagirite sur l'auteur
de la Divine Comedie. Pour Dante - s'il nous est permis de paraphraser
ses vers -, toutes choses sont ordonnées les unes aux autres, et cet ordre
constitue la forme par laquelle l'univers, dans sa perfection, participe de la
perfection de Dieu. Autrement dit, Dieu est infiniment parfait par son unité
essentielle ; l'univers qu'il a créé en son infinie variété possède néanmoins
24. voir sur ce concept, A. Guzman, Ratio scripta, Frankfurt am Main, vittorio
Klostermann, 1981 (Ius commune-Sonderhefte, 14).
25. P. Grossi, op. cit., p. 238.

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